Coup d’Etat au Gabon : «Je ne pense pas que les intérêts français soient menacés au Gabon», estime Olivier Crone
Au Gabon, «Paris s’accommodera du nouveau gouvernement» et continuera «business as usual»
Après le Mali, le Burkina Faso et le Niger c’est désormais au tour du Gabon de faire l’objet d’un coup d’état militaire.
Au micro d’Al-Ain, Olivier Crone, conseiller politique auprès de l’Union européenne, analyse ce dernier putsch à la lumière de la situation régionale.
S'exprimant depuis ce qu'il a déclaré être sa résidence, Le Président Ali Bongo a exhorté ses partisans à «élever la voix».
Ces derniers se sont toutefois faits extrêmement rares. Au contraire ce sont plutôt les voix qui lui sont défavorables qui se sont manifestées en nombre dans les rues de Libreville et du reste du pays.
Un phénomène devenu que trop courant ces deux dernières années en Afrique francophone. Après Bamako, Ouagadougou, Niamey, c’est désormais au tour de Libreville de tomber aux mains d’une junte militaire. Un effet domino ?
Pour Al-Ain, Olivier Crone, ancien conseiller politique de l’Union européenne sur les questions géostratégiques, revient sur les dénominateurs communs entre ces situations et ce qui fait la particularité de la situation au Gabon.
Al Ain : Depuis 2021, les gouvernements d’Afrique francophone tombent comme des feuilles d’automne au profit de juntes militaires. Comment expliquez-vous cet effet domino des coups d’Etat dans la zone ? Peut-on d’ailleurs faire le lien entre les situations au Mali, au Niger, au Burkina Faso, et au Congo ?
Olivier Crone : Même si chaque situation est complexe et unique, il y a tout de même des dénominateurs communs entre chaque pays. Certains coups d’Etat récents ont dû inspiré les militaires gabonais.
Il y a cependant plus de similitudes entre les trois pays du Sahel (Mali, Burkina Faso et Niger) qui sont confrontés à la menace djihadiste. Et de ce point de vue, la tentative de coup d’Etat au Gabon est plus inattendue.
Le Gabon est un pays plus prospère que les autres. C’est une puissance pétrolière et ça a donc pu étonner certains qu’il s’y produise une tentative de putsch. C’est toutefois un pays qui était gouverné par une sorte de dynastie héritée de père en fils, et cela a créé une forme de lassitude au sein de la population.
Al Ain : Comment cette situation impacte-elle les intérêts français dans la région ?
Olivier Crone : Au Sahel les intérêts sont principalement sécuritaires, alors que dans des pays comme le Congo (Brazzaville), le Gabon ou même le Sénégal, ils sont d’avantages économiques.
Selon moi, sauf si la junte prend le pouvoir et adopte une ligne antifrançaise, Paris s’accommodera du nouveau gouvernement et continuera «business as usual». On ne peut toutefois pas exclure que la junte militaire au Gabon se tourne vers d’autres partenaires.
Al Ain : Quelle positionnement désormais pour la France dans une zone qui lui est à la fois stratégique et en partie hostile ?
Olivier Crone : Fut un temps désormais révolu, la France aurait envoyé une compagnie de parachutiste pour rétablir l’ordre et défendre ses intérêts en maintenant un statu quo dans le pays, mais nous ne sommes plus dans les années soixante-dix. Et pourtant il y a un contingent français basé au Gabon.
Je ne pense pas que les intérêts français soient menacés au Gabon, donc je ne pense pas que la France modifie sa politique étrangère au Gabon. Au Sahel, la situation diffère.
Al Ain : Comment mesurez-vous le degré de responsabilité de la Russie, à travers sa présence, ses réseaux, au Gabon et dans les différents épisodes de coup d’Etat qui ont secoué la région ?
Olivier Crone : C’est clair qu’il y a eu une désinformation russe anti-française qui sévit depuis pas mal d’années en Afrique francophone. En particulier en Centre Afrique et au Mali, mais aussi ailleurs. Et cela a produit son effet auprès de certaines opinions publiques africaines.
Il est encore tôt pour tirer les mêmes conclusions au sujet de l’influence russe au Gabon. Je n’ai pas d’informations en ce sens. Ce qui est cependant indéniable c’est la Russie a su tirer profit d’une certaines lassitude des opinions publiques à l’égard de la politique française en Afrique francophone, ça c’est un fait.
Al Ain : Un peu de prospective… Peut-on s’attendre à d’autres épisodes de ce type dans un futur plus ou moins proche ?
Olivier Crone : On peut l’imaginer dans plusieurs pays de l’Afrique francophone. Je pense notamment au Congo Brazzaville où le Président Sassou-Nguesso est au pouvoir depuis près de trente ans.
Il peut y avoir une forme de contagion. Il y a plusieurs terreaux fertiles à ce type d’instabilité politique dans plusieurs pays de la région.
Après, un putsch militaire ça ne veut pas dire que le nouveau gouvernement militaire adopte mécaniquement un positionnement anti-française.