Assassinat de Ghislaine Dupont et Claude Verlon au Mali, voici les avancées de l'enquête
L’enquête sur la mort des envoyés spéciaux de RFI le 2 novembre 2013 a progressé mais elle est aujourd’hui entravée par l’absence de coopération judiciaire entre Paris et Bamako.
Tout s’est passé en une heure à peine, comme une accélération du temps. Le 2 novembre 2013, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, envoyés spéciaux de Radio France internationale (RFI), sont enlevés en pleine ville de Kidal, au nord-est du Mali, exécutés à bout portant dans le désert 12 km plus loin, avant que leurs corps soient retrouvés par des soldats français partis à la poursuite du commando.
Les ravisseurs, eux, se sont volatilisés, abandonnant leur pick-up, tombé en panne. A bord sont immédiatement saisis trois téléphones portables, les papiers du véhicule et de son propriétaire, des empreintes digitales, de l’ADN.
Alors que l’assassinat est revendiqué par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), toutes les forces armées sont mobilisées, y compris internationales, présentes sur le secteur à l’époque : la Mission des nations unies au Mali (Minusma) et, côté français, l’opération « Barkhane », des militaires des forces spéciales et des gendarmes.
Mais aussitôt après, le temps ralentit. Parfois même, il semble s’arrêter. Ainsi, ce n’est qu’en 2021 que les données téléphoniques de l’opérateur malien Malitel, pourtant découvertes le jour du drame, ont été transmises aux enquêteurs du pôle antiterroriste à Paris.
Si certains numéros restent toujours inconnus, relevant de compagnies algériennes qui refusent systématiquement de coopérer avec la France, « ces exploitations ont été d’un apport considérables : elles ont mis à jour l’existence d’un réseau de complicité plus vaste que celui des six membres identifiés – quatre membres du commando et deux commanditaires – jusque-là », révèle Marie Dosé, l’avocate de l’association Les amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon lors d’une conférence de presse tenue le 30 octobre, trois jours avant le dixième anniversaire de l’assassinat de la journaliste et du technicien de RFI.
« Trahis »
Ainsi les données téléphoniques ont d’abord permis d’établir que l’équipe de RFI était ciblée et prise en filature dès son arrivée à Kidal, le 29 octobre 2013 au petit matin à bord d’un vol militaire de la Minusma. L’hypothèse d’une action d’opportunité serait donc à écarter.
Des complicités extérieures à AQMI auraient aussi été mises en évidence, impliquant notamment au moins un membre du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA), le groupe indépendantiste à majorité touareg actif dans le nord du Mali, région où les appartenances aux factions sont fluctuantes.
Ainsi, c’est en sortant d’une interview avec un notable du MNLA à Kidal que la journaliste et l’ingénieur du son ont été enlevés. Mais c’est ce même notable qui a immédiatement donné l’alerte aux forces françaises, tandis que son fils tentait de courser les ravisseurs.
Et s’il fallait brouiller encore un peu plus les pistes, le MNLA est, par ailleurs, un des interlocuteurs locaux des autorités françaises. « Les envoyés spéciaux ont été trahis », aurait confié en 2016 Jean-Yves Le Drian, alors ministre de la défense, pendant un entretien confidentiel avec l’association Les amis de Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Il n’en dira jamais plus.
A vrai dire, les acteurs internationaux ne se précipitent pas pour aider l’enquête à sortir des sables mouvants. Sollicitée pour ses photos prises sur les lieux avant et après l’exécution, la Minusma a fait traîner interminablement la requête pour finir par soutenir n’avoir aucune image.
Des enquêtes internes aux Nations unies auraient été menées à l’époque des faits, puis en 2017. Aucune n’a été communiquée, rapporte Le Monde.
Après plusieurs demandes du pôle antiterroriste, 200 documents environ ont été fournis par le ministère de la défense.
Mais au nom du « secret-défense », « des pages et des passages entiers manqueraient ou seraient noircis, donc illisibles.
De ce fait, nombre de ces documents seraient inutilisables », dénonce Agnès Callamard, rapporteuse spéciale des Nations unies sur les exécutions extrajudiciaires, dans un courrier officiel à Paris en 2021.
Selon elle, « l’absence de coopération des autorités militaires françaises » et « l’utilisation préoccupante du “secret-défense” » représenteraient « un frein à la manifestation de la vérité ».
« Scène de théâtre »
Au cœur du dossier demeure donc une énigme toujours irrésolue : pourquoi Ghislaine Dupont et Claude Verlon ont-ils été exécutés plutôt que servir de monnaie d’échange ?
Hypothèse principale : le pick-up des ravisseurs étant tombé en panne, ils auraient pris la décision de tuer leurs otages avant de fuir, sachant des forces armées à leurs trousses.
En marge d’une interview en décembre 2013, François Hollande, alors à l’Elysée, aurait mentionné « off the record » une phrase captée sur des écoutes après la mort des deux Français. Un commanditaire y reprocherait à un membre du commando d’avoir « gâché la marchandise ».
Cette même réplique aurait été répétée cinq ans plus tard par un directeur des services de renseignement à deux journalistes.
Convoqués par le juge d’instruction, l’ex-président et l’ex-directeur auraient chacun soutenu ne pas s’en souvenir. Une demande de confrontation, réclamée par les parties civiles, a définitivement été rejetée en 2020.
Dix ans ont passé, le moment de témoigner est arrivé, demandent les familles et les proches alors que seul un membre présumé du commando et un commanditaire seraient toujours en vie.