Goma : La ville aux portes de l’enfer
Dans la touffeur d’un ciel chargé de cendres, Goma vacille. La ville, accrochée aux rives du lac Kivu comme un funambule au fil de sa vie, sent la guerre qui approche.
Les rumeurs grondent, roulent comme des tambours funèbres : le M23, ce spectre insaisissable et redoutable, n’est plus qu’à quelques kilomètres.
Les habitants, hagards, rassemblent ce qu’ils peuvent. Un sac, un enfant sur le dos, une casserole, parfois rien d’autre que leurs ombres et leurs espoirs. Ils fuient Saké, ce verrou stratégique qui vient de tomber sous les assauts des rebelles. Ils fuient, et derrière eux, la poussière de la débâcle se mêle à celle des volcans endormis, témoins impassibles de siècles de tourments.
La peur, comme un poison
Dans les camps de déplacés, la misère règne en maîtresse. Des milliers de regards éteints, des corps affamés, des enfants qui pleurent sans savoir pourquoi. Et toujours cette peur, lancinante, comme un poison qui se glisse dans les âmes.
Les humanitaires s’activent, mais leurs efforts se heurtent à l’ampleur de la catastrophe. Chaque sac de riz, chaque goutte d’eau semble une goutte dans un océan de désespoir.
Les hommes, eux, parlent à voix basse, les yeux rivés sur la ligne d’horizon. « Ils arrivent », murmure-t-on dans les ruelles. Le mot est répété, comme une incantation, un sort que l’on voudrait conjurer mais qui s’impose avec la certitude d’une lame dans l’obscur.
Une ville qui refuse de mourir
Les premières détonations sont comme des échos d’un futur incertain. Elles montent dans l’air lourd et s’abattent sur la ville comme des coups de massue. Mais Goma, la fiévreuse, refuse de plier. Ses habitants, brisés mais jamais vaincus, s’organisent dans l’urgence, comme une ruche en alerte.
Les femmes forment des chaînes humaines pour acheminer l’eau et les vivres dans les camps où les nouveaux arrivants s’entassent. Les hommes surveillent les routes, à l’affût du moindre signe de l’ennemi. Des jeunes, armés de bâtons et de courage, patrouillent les ruelles sombres, défiant l’ombre qui s’avance.
Dans cette ville en sursis, le mot « résilience » prend un sens presque sacré. Il est dans les mains calleuses du pêcheur qui continue à jeter ses filets dans le lac Kivu. Il est dans les prières murmurées par les vieilles femmes à la tombée de la nuit. Il est dans le regard d’un enfant qui, au milieu des décombres, trace des figures dans la poussière.
L'appel au monde
Les dirigeants de Kinshasa, eux, multiplient les appels à l’aide internationale. Des paroles enflammées, des accusations lancées à la face du Rwanda, des promesses de soutien qui peinent à atteindre la réalité du terrain. Dans les grandes capitales, les chancelleries hésitent, calculent. Que vaut Goma dans l’équilibre des puissances ? Que pèse cette ville lointaine face à des intérêts stratégiques plus vastes ?
Mais pour les habitants de Goma, la réponse est simple. Goma, c’est tout. C’est leur maison, leur vie, leur futur. Perdre Goma, ce serait perdre bien plus qu’une ville. Ce serait perdre un espoir, une identité, une promesse de renaissance.
Un combat pour l'honneur
Et puis, il y a ceux qui se battent, non pas pour une stratégie ou une idéologie, mais pour l’honneur. Ces soldats congolais, fatigués et mal équipés, qui tiennent encore leurs positions face à l’avancée du M23. Dans leurs regards, on lit à la fois la peur et la détermination. Ils savent qu’ils jouent une partie inégale, mais ils restent debout.
Les collines autour de Goma, elles aussi, semblent se battre. Ces vieilles sentinelles, façonnées par le feu des volcans, se dressent comme un rempart naturel, offrant à la ville un semblant de protection. Mais jusqu’à quand ?
Une flamme vacillante
Dans les ruelles de Goma, la vie continue, fragile mais tenace. Les marchés, bien que clairsemés, résonnent encore des cris des vendeurs. Les églises, bondées, accueillent des fidèles qui prient pour un miracle.
Les écoles, où elles peuvent, ouvrent leurs portes, parce que l’éducation, ici, est une forme de résistance.
Et au-dessus de tout cela, le lac Kivu scintille encore. Son eau calme semble ignorer la fureur des hommes. Mais même lui, sous sa surface paisible, cache des dangers, des poches de méthane prêtes à exploser, à l’image de cette terre qui gronde.
Le destin en sursis
Goma attend son sort, comme une pièce sur un échiquier dont le joueur hésite. La ville pourrait tomber, ou elle pourrait résister. Mais une chose est sûre : Goma ne renoncera pas.
Car dans cette lutte, il ne s’agit pas seulement de terre ou de pouvoir. Il s’agit de l’âme d’un peuple. Et cette âme, malgré les assauts, malgré les ténèbres, brille encore. Comme une flamme vacillante, mais inextinguible.
Goma, joyau vibrant de l'Est congolais, repose ce soir dans une tension qui glace le sang. Demain à l’aube, elle pourrait tomber, non pas sous les assauts du M23, ces hommes surgis des ténèbres des collines, mais sous les bottes bien ordonnées de l’armée rwandaise.
Une invasion, une profanation, une brûlure infligée à cette terre déjà martyrisée. On fera quoi ? Rien, ou si peu. Des recommandations murmurées dans des salons feutrés, des regards qui se détournent. Et pourtant, tout le monde sait.
Le Rwanda, ce petit pays aux ambitions vastes, joue un jeu qui dépasse les frontières. Ce n’est pas seulement la RDC qu’il convoite, mais aussi la Centrafrique, le Soudan, là où l’ombre des Tutsis rwandais se projette déjà. Alors, est-ce le moment pour l’Europe de se réveiller, pour une intervention franco-belge, comme un écho d’un passé encore récent ? Si nous n’y allons pas, si nous restons spectateurs, que reste-t-il à faire pour le président congolais ?
Par Olivier d’Auzon