Une alliance au carrefour des enjeux mondiaux : Russie et Iran redéfinissent leur partenariat
Dans une Moscou hivernale, les présidents russe et iranien se sont retrouvés pour signer le 17 janvier 2025 , un pacte stratégique mis à jour, un document qui, s’il marque un tournant important, s’avère aussi bien calculé que prudent.
Dans les salons dorés du Kremlin, ce rendez-vous, plus solennel qu’historique, s’inscrit dans une dynamique diplomatique où la symbolique côtoie les impératifs économiques.
Pourtant, au-delà des apparences, cette alliance intrigue autant qu’elle révèle les limites d’une coopération qui évite soigneusement la confrontation directe avec l’Occident.
Un partenariat sans ambitions militaires
Depuis des années, les relations russo-iraniennes oscillent entre pragmatisme économique et réalpolitik. Malgré les rumeurs persistantes sur une éventuelle dimension militaire, notamment avec l’utilisation présumée de drones iraniens en Ukraine, le pacte signé met fin à certaines spéculations.
L’article 3, en particulier, dissipe les doutes : aucune obligation de défense mutuelle ne lie ces deux nations. Moscou et Téhéran se contentent de promettre de ne pas soutenir d’agresseur contre l’autre, une posture qui confirme leur refus d’un affrontement direct avec Israël ou les États-Unis.
Ce choix s’explique aisément. Vladimir Poutine a appris, à travers l’histoire récente, à éviter les aventures militaires qui risqueraient d’entraîner son pays dans des conflits globaux. Israël, après avoir démantelé le réseau d’influence iranien dans la région, incarne une ligne rouge que Moscou n’a pas l’intention de franchir.
Même la crise syrienne, où la Russie et l’Iran étaient des alliés de circonstance, n’a jamais débouché sur une véritable alliance stratégique.
L’énergie comme moteur de la coopération
Loin des terrains militaires, le cœur de cette alliance bat dans le domaine énergétique. La Russie et l’Iran, deux géants du gaz, partagent une ambition commune : remodeler le marché mondial.
Avec des réserves colossales, en grande partie inexploitées pour l’Iran, et une expertise technologique côté russe, les deux pays envisagent de créer une sorte d’“OPEP du gaz”.
Vladimir Poutine a été clair : l’objectif à long terme est de faire transiter jusqu’à 55 milliards de mètres cubes de gaz par l’Iran, un volume équivalent à celui du défunt Nord Stream 1. Mais pour y parvenir, il faudra surmonter des défis logistiques et diplomatiques. L’absence d’infrastructures modernes en Iran, couplée aux sanctions américaines, complique les ambitions de ce projet titanesque.
Pour autant, la Russie semble prête à jouer la carte de la patience. En attendant, les exportations de gaz débuteront modestement avec 2 milliards de mètres cubes annuels, un chiffre symbolique mais stratégique.
À terme, l’accès aux marchés indiens et chinois via l’Iran pourrait bouleverser les équilibres mondiaux, sapant la domination américaine sur les exportations de gaz naturel liquéfié en Europe.
Le Corridor Nord-Sud : un axe commercial prometteur
En parallèle, le développement du Corridor Nord-Sud, un projet en gestation depuis près de trois ans, est au cœur de cette coopération.
Reliant la Russie à l’Inde en passant par l’Iran, cet axe commercial pourrait transformer le commerce eurasiatique. Ce corridor ne se limite pas à un échange bilatéral : il symbolise une volonté commune de s’affranchir des routes commerciales dominées par l’Occident.
Avec un commerce bilatéral qui peine à dépasser les 4 milliards de dollars, cet axe représente un potentiel considérable pour relancer les économies des deux pays.
Pour l’Iran, cela signifie un souffle nouveau pour une économie asphyxiée par les sanctions internationales.
Pour la Russie, c’est une porte ouverte vers les marchés de l’Asie du Sud et de l’Est, au moment où ses exportations vers l’Europe se réduisent sous l’effet des sanctions liées à la guerre en Ukraine.
Une signature stratégique dans un contexte apaisé
Le moment choisi pour signer ce pacte n’est pas anodin. Après des années de négociations, les deux parties ont attendu la fin des hostilités régionales pour sceller leur alliance.
Poutine, fin stratège, a compris que tout rapprochement trop ostentatoire avec l’Iran risquait de compromettre ses relations avec Israël, mais aussi de compliquer d’éventuelles négociations avec l’Occident sur l’Ukraine.
Du côté iranien, le choix d’envoyer Pezeshkian, figure modérée de l’élite politique, reflète une volonté d’équilibre. L’Iran cherche à rassurer l’Occident tout en consolidant ses alliances stratégiques.
À quelques mois d’une possible relance des négociations sur le nucléaire, Téhéran joue une partition délicate pour ne pas froisser Washington tout en renforçant ses positions.
Un avenir économique, pas militaire
L’alliance russo-iranienne s’affirme donc comme un partenariat de circonstance, guidé par des intérêts économiques communs plutôt que par une idéologie partagée ou des ambitions militaires. En rejetant explicitement toute “hégémonie unipolaire”, les deux pays affirment leur volonté de remodeler les règles du jeu mondial, mais sans prendre le risque de déclencher un conflit ouvert avec l’Occident.
À terme, le véritable impact de ce partenariat se jouera sur le terrain économique, en particulier dans le secteur énergétique.
Si les projets ambitieux autour du gaz et du Corridor Nord-Sud se concrétisent, cette alliance pourrait redéfinir les équilibres mondiaux, offrant à Moscou et Téhéran une place centrale dans le nouvel ordre global en gestation. Mais pour cela, patience et pragmatisme seront les maîtres mots.
Olivier d’Auzon