La chute de Bachar El-Assad n’annonce pas forcément des lendemains qui chantent…
La guerre civile syrienne, qui dure depuis plus d’une décennie, a franchi un nouveau seuil avec la chute du régime de Bachar El-Assad et l’ascension des milices terroristes.
Parmi les acteurs majeurs de cette transition chaotique figure Abou Mohammed al-Joulani, chef d’Hay'at Tahrir al-Sham (HTS), une faction terroriste née de la scission avec Al-Qaïda. Ce groupe a réussi à se redéfinir dans le paysage syrien, exploitant les fractures du pays pour s’imposer comme un acteur clef du conflit.
Abou Mohammed al-Jolani, chef de Hayat Tahrir al-Sham (HTS), a habilement manipulé l’opinion internationale en annonçant une rupture avec al-Qaïda en 2016.
« Mais derrière cette façade se cache une manœuvre stratégique pour préserver des liens secrets et renforcer son pouvoir en Syrie », prévient, Fabrice Balanche le géographe et auteur de l’ouvrage très remarqué : Les Leçons de la crise syrienne publié en 2024 chez Odile Jacob.
Or depuis sa création en 2012, HTS, anciennement connu sous le nom de Front al-Nosra, est devenu un acteur incontournable de la rébellion, prenant le contrôle d’Idleb et consolidant son emprise sur la région en absorbant plusieurs groupes rebelles.
En étendant son influence, HTS a pris le contrôle de la contrebande et de l'aide humanitaire, tout en imposant un régime islamique strict à la population.
Sous al-Jolani, HTS a su se démarquer de Daesh en offrant une façade plus modérée, sans toutefois renoncer à ses objectifs terroristes.
Avec la région d’Idleb comme base, elle est devenue un sanctuaire pour le terrorisme transnational, attirant des combattants étrangers.
Ce double jeu permet à HTS de se maintenir comme une force puissante et menaçante dans le paysage syrien, tout en naviguant habilement entre les attentes occidentales et les ambitions terroristes globales.
La déstabilisation du régime d’Assad n’est pas survenue de manière soudaine
Or la déstabilisation du régime d’Assad n’est pas survenue de manière soudaine, confesse, Myriam Benraad, Professeur en relations internationales à l’Université internationale Schiller à Paris et directrice de recherche au CF2R pour le diplomate.media.
« Elle est le fruit d’une guerre longue, marquée par des années de violences, de destructions et de luttes de pouvoir. Des régions comme Alep, Homs ou Hama, déjà exsangues à force de bombardements et d’occupations militaires, ont rapidement cédé aux groupes terroristes, dont HTS, qui ont exploité le vide politique et militaire laissé par l’Armée syrienne.
Incapable de résister face à des milices plus mobiles et mieux organisées, le régime d’Assad, déjà affaibli par des années de guerre, s’est vu rapidement déborder ».
La Turquie semble tirer son épingle du jeu
Dans ce contexte, le rôle des puissances régionales, à l’instar de la Turquie et d’Israël, est scruté, mais celui des États-Unis demeure crucial. Bien qu’agissant principalement en coulisses, Washington continue de peser sur le dossier syrien.
Joe Biden, fidèle à une tradition interventionniste américaine, a affirmé qu’Assad devait « rendre des comptes », tout en ordonnant des frappes ciblées contre des installations liées à Al-Qaïda. Cependant, cette stratégie soulève des questions sur la cohérence et les objectifs de l’administration américaine, accusée de jouer les apprentis-sorciers au Moyen-Orient.
« La récente exposition médiatique accordée à Joulani, l’un des terroristes les plus recherchés, illustre cette ambiguïté. Comparée à l’« effet CNN » de la guerre du Golfe, cette manœuvre dépasse la propagande classique : elle participe activement à remodeler la perception et les dynamiques du conflit syrien, dans un contexte de recomposition accélérée du paysage géopolitique régional », souligne Myriam Benraad.
La Russie face à l’impasse syrienne : une diplomatie renouvelée
Quant à la Russie, déçue par l'incapacité du régime syrien à rétablir l'ordre, elle n'adoptera plus une réponse militaire, notamment en raison de l'engagement sur le front ukrainien , commente Myriam Benraad, dans le diplomate.media.
L’inquiétude des minorités et des chrétiens en particulier
À Alep, les groupes terroristes, dès leur arrivée, ont promis une « nouvelle approche » pour garantir la protection des minorités. Pourtant, cette déclaration peine à rassurer la communauté chrétienne, encore traumatisée par les exactions commises par ces mêmes groupes durant les premières années du conflit.
À l’époque, les civils étaient terrorisés, contraints de se cacher, tandis que lieux de culte et sanctuaires chrétiens étaient régulièrement saccagés par des factions à l’instar du Front al-Nosra. Si les décorations de Noël et les églises semblent aujourd’hui épargnées, les souvenirs des violences passées, marquées par des enlèvements et des persécutions, restent vivaces.
Pour beaucoup, ces événements récents ravivent une angoisse face à l’avenir des chrétiens, dans une région où leur présence s’est considérablement réduite au fil des années, déplore Myriam Benraad, dans le diplomate.media.
Washington pourrait privilégier une approche mixte diplomatique et militaire
Les États-Unis, qui ont largement soutenu les rebelles anti-Assad tout au long du conflit, n'ont pas encore clairement défini leur politique pour la Syrie post-Assad.
L'administration Biden, bien que favorable à un renversement du dictateur, semble préoccupée par la situation géopolitique incertaine qui s’ouvre devant elle. Washington pourrait privilégier une approche diplomatique, tout en continuant à intervenir militairement contre Al-Qaïda et d’autres groupes terroristes présents dans le pays.
Mais il est clair que la Syrie post-Assad risque de devenir un terrain de tensions multiples, avec un jeu complexe d’intérêts entre puissances étrangères.
Syrie, Irak et le spectre d’un croissant terrorisme renaissant
La chute du régime de Bachar El-Assad soulève d'importantes interrogations sur l’avenir du Moyen-Orient. Est-ce une occasion de construire une région plus démocratique et prospère, ou bien un pas vers une instabilité accrue et une domination autoritaire ? Tandis que les Kurdes, notamment en Irak, considèrent cet événement comme une « révolution » à célébrer, d’autres pays, et en particulier l’Irak, se montrent préoccupés par les conséquences régionales.
Les craintes se cristallisent autour de la résurgence d’un mouvement terroriste, jamais véritablement éradiqué, qui pourrait se renforcer dans cette nouvelle dynamique, appréhende Myriam Benraad.
La chute d’Assad semble offrir bel et bien une occasion favorable à la reconstitution d’un croissant terroriste qui, nourri par les troubles syriens, viendrait trouver son reflet et sa force en Irak. Et si la Syrie explosait en quelque chose qui ressemblerait à la Libye ? S’interroge le géographe Fabrice Balanche.
Olivier D'Auzon.