La chute de Bachar El-Assad : un revers pour les ambitions multipolaires de Pékin
En décembre 2022, la Chine ouvrait grand ses portes à Bachar El-Assad et à son épouse Asma, en pleine tournée diplomatique.
C’était la première fois depuis des années que le leader syrien, longtemps isolé sur la scène internationale, recevait un accueil aussi prestigieux.
Le président Xi Jinping avait alors promis un soutien indéfectible au régime d’Assad et annoncé une participation active à la reconstruction de la Syrie.
Tout cela semblait augurer d'une nouvelle ère pour les relations sino-syriennes.
Mais un an plus tard, la chute de ce même Assad a fait voler en éclats l’image de puissance et d’influence que Pékin voulait cultiver au Moyen-Orient.
Le 8 décembre 2024, une coalition d'organisations armées a pris Damas d’assaut et renversé le régime, mettant fin à 50 ans de domination de la famille Assad.
Pour la Chine, ce retournement dramatique ne marque pas seulement la fin d’un partenariat stratégique, mais aussi un sérieux revers dans ses ambitions diplomatiques régionales.
"Tout cela montre que la Chine s’est un peu enflammée dans son approche de la politique régionale", analyse Jonathan Fulton, chercheur au Conseil de l’Atlantique.
"Elle pensait pouvoir peser de manière décisive sur le sort de la Syrie, mais la réalité est bien plus complexe."
Cité par l’Agence Reuter le 9 décembre 2024.
La chute d’Assad, soutenu par l’Iran et la Russie, remet en question l’influence de ces puissances dans la région arabe et frappe aussi de plein fouet les ambitions mondiales de la Chine.
Pékin avait pris des airs de médiateur incontournable en 2023, lorsqu’elle avait réussi à rapprocher deux grands rivaux du Moyen-Orient : l’Arabie saoudite et l’Iran.
La Chine vantait alors son rôle croissant dans une région dominée depuis des décennies par les États-Unis.
Mais après ce succès diplomatique, les espoirs de Pékin de reproduire la même dynamique en Syrie se sont rapidement heurtés aux réalités du terrain.
"Ce n’est pas ce genre de scénario que la Chine espérait", explique Fan Hongda, spécialiste du Moyen-Orient à l’Université des études internationales de Shanghai.
"Le chaos, ou encore un Moyen-Orient trop pro-américain, ne colle pas avec les intérêts de Pékin." Cité par l’Agence Reuter le 9 décembre 2024.
Pour la Chine, un Moyen-Orient stable, à l'écart des grandes puissances, est bien plus stratégique.
La réaction de Pékin à la chute du régime d'Assad a été prudente, presque mesurée. Le ministère chinois des Affaires étrangères a insisté sur la nécessité de restaurer rapidement la stabilité en Syrie, tout en affirmant que la Chine continuerait de soutenir "tout le peuple syrien". Une ouverture ambiguë qui laisse entendre que Pékin attendra avant de se prononcer sur un futur gouvernement à Damas.
Mais derrière ce discours diplomatique, le coup porté par la fin du régime d’Assad n’est pas négligeable. Si la Chine se distingue par son approche pragmatique, elle se heurte à une série de défis économiques et géopolitiques.
La Syrie, qui a rejoint l'initiative des Nouvelles Routes de la Soie en 2022, n’a pas vu de grands investissements chinois en raison des sanctions internationales.
Les promesses de reconstruction, quant à elles, sont mises à mal par l’instabilité persistante du pays.
La route est encore semée d’embûches pour Pékin, qui hésite à s’engager à fond.
Les autres enjeux sont tout aussi délicats : en soutenant Assad tout en cherchant à maintenir de bonnes relations avec des rivaux régionaux comme l’Arabie saoudite et la Turquie, la Chine s’est exposée à un dilemme de taille.
"Cette politique de balance n’est pas sans risques", note l’analyste Jonathan Fulton.
"Elle pourrait finir par aliéner certains de ses partenaires clef." Cité par l’Agence Reuter le 9 décembre 2024.
Il y a deux mois, la Syrie avait officiellement déposé sa candidature pour rejoindre le groupe BRICS, affirmant ainsi sa volonté de s'inscrire dans l'émergence d'un monde multipolaire.
L'année dernière, le président syrien Bachar El-Assad a été reçu en grande pompe en Chine, renforçant les liens diplomatiques entre Damas et Pékin.
Un an plus tôt, la Syrie intégrait l'initiative chinoise des Nouvelles Routes de la Soie, un projet mondial d'infrastructures et de commerce.
Des discussions avaient également émergé sur une possible adhésion de la Syrie à l'Organisation de coopération de Shanghai, confirmant de fait, son ancrage dans de nouvelles alliances stratégiques.
Forte du soutien de la Chine, de la Russie et d'autres partenaires, la Syrie avait commencé à envisager sa reconstruction, marquée par l'effacement progressif de l'hégémonie occidentale.
En parallèle, Damas a maintenu son soutien historique à la cause palestinienne et à la résistance libanaise, des positions fermes qui continuent de susciter l'hostilité des États-Unis et de leurs alliés.