La mer Rouge à l’épreuve des puissances mondiales et des tensions locales
La mer Rouge, située à la croisée des chemins entre l’Afrique et l’Asie, joue un rôle clé dans le commerce mondial.
Cependant, son importance va bien au-delà de sa fonction commerciale : elle est devenue un terrain de rivalités géopolitiques croissantes, avec des implications pour la sécurité régionale et mondiale. Cette dynamique complexe est particulièrement mise en lumière dans l’article "Red Sea tensions: 4 scholars explain what’s at stake for global trade and security", publié le 11 décembre 2024 dans The Conversation.
Un axe commercial crucial, mais vulnérable
La mer Rouge relie l’Asie, l’Europe et l’Afrique, faisant d’elle une route maritime incontournable pour le commerce international. Toutefois, cette importance commerciale est étroitement liée à la stabilité et à la sécurité de la région. Pour protéger ces échanges, des puissances mondiales telles que la Turquie, les Émirats Arabes Unis, l’Arabie Saoudite, la Chine, les États-Unis, la France et l’Italie ont installé des bases militaires sur ses côtes, afin de garantir la libre circulation des navires, notamment ceux transportant du pétrole. Cependant, la montée de l’insécurité dans la région a directement impacté les coûts du commerce mondial, exacerbant ainsi les tensions géopolitiques.
L'accord Éthiopie-Somaliland : un bouleversement régional
Un tournant majeur dans les rapports de pouvoir en mer Rouge a été l'accord de janvier 2024 entre l’Éthiopie et le Somaliland, qui a permis à l’Éthiopie d’obtenir un accès direct à la mer Rouge via le littoral somalien. En échange, l’Éthiopie s’est engagée à soutenir la reconnaissance internationale du Somaliland. Cette initiative a été perçue comme une provocation par la Somalie, qui revendique la souveraineté sur le Somaliland, créant ainsi des tensions diplomatiques. Cet accord a non seulement modifié les dynamiques régionales, mais a aussi réorienté les alliances, révélant la complexité des rapports de force dans cette région stratégique.
Comme le souligne l'expert Aleksi Ylönen, cet accord s’inscrit dans un contexte où les alliances et les rivalités redéfinissent constamment les relations internationales, particulièrement en Afrique de l’Est. L’Éthiopie a renforcé sa position géostratégique, mais cette stratégie a également engendré des tensions avec la Somalie, mettant en lumière les divisions internes du pays ainsi que les enjeux plus larges liés à la reconnaissance du Somaliland.
Les Houthis et la menace à la sécurité maritime
La vulnérabilité de la mer Rouge face aux menaces militaires a été accentuée par les attaques revendiquées par les Houthis, un groupe rebelle yéménite. Bien que les Houthis aient ciblé des navires israéliens, leurs attaques se sont principalement concentrées sur des navires saoudiens. Ces incidents ont souligné l’insécurité persistante dans l’une des routes maritimes les plus stratégiques au monde, mettant en évidence la nécessité d’une réponse coordonnée pour garantir la sécurité régionale. Burak Şakir Şeker, analyste en sécurité, insiste sur l'importance d'une approche internationale pour faire face à cette menace.
L'implication de la Turquie en Somalie : une stratégie régionale
Face à cette insécurité croissante, la Turquie a intensifié son engagement en Somalie, un élément clé de sa stratégie régionale à long terme. En février 2024, Ankara a signé un accord de défense avec le gouvernement somalien, visant à fournir une aide militaire et à lutter contre la piraterie ainsi que la pêche illégale. Ce soutien militaire va au-delà de la sécurité maritime : il fait partie de la stratégie turque visant à accroître son influence en Afrique et à renforcer son rôle sur la scène internationale. Selon l'expert Federico Donelli, « cet engagement reflète les ambitions de la Turquie de se positionner comme un acteur majeur dans les affaires mondiales ».
Cependant, cette implication turque complique les relations de la Turquie avec l’Éthiopie, un partenaire clé dans la région. Les liens entre Ankara et Addis-Abeba se sont renforcés ces dernières années, mais l’expansion de l’influence turque en Somalie pourrait être perçue par l’Éthiopie comme une menace stratégique.
Un équilibre fragile : coopération et rivalité en mer Rouge
L'implication des puissances mondiales et régionales en mer Rouge souligne un équilibre délicat entre coopération et rivalité. Chaque acteur poursuit ses propres objectifs géopolitiques, ce qui engendre des tensions et des compromis. La gestion de ces rapports de force sera déterminante pour l'avenir de cette région stratégique. Le commerce mondial, la sécurité régionale et la politique internationale dépendront de la manière dont ces tensions seront résolues.
La mer Rouge, loin de se réduire à une simple route commerciale, devient ainsi un espace de rivalités stratégiques où les acteurs locaux et mondiaux redéfinissent continuellement leurs rapports de pouvoir. Les alliances et les rivalités qui se forgeront dans les années à venir auront des implications bien au-delà de la région, affectant les relations internationales à l’échelle globale.
Olivier d’Auzon