Lavrov en Guinée, Congo-Brazzaville et Tchad : la Russie renforce ses liens avec ses partenaires africains
La tournée africaine de Sergueï Lavrov de juin 2024, le chef de la diplomatie russe, intervient dans un contexte géopolitique complexe.
La Guinée, le Congo-Brazzaville et le Tchad, les trois pays qu'il va visiter, entretiennent des relations étroites avec la France, mais ils cherchent aussi à diversifier leurs partenariats internationaux.
La Guinée est le premier pays africain à avoir établi des relations diplomatiques avec l'Union soviétique, en 1958. Aujourd'hui, la coopération entre la Guinée et la Russie est principalement axée sur le secteur minier, avec l'exploitation de la bauxite par la société russe Rusal.
La Russie mène une diplomatie amicale avec la Guinée, comme en témoigne le soutien de l'ambassadeur russe à la modification de la Constitution pour permettre un troisième mandat à l'ancien président Alpha Condé.
Depuis son renversement en septembre 2021, le colonel Mamadi Doumbouya, ancien officier de la légion étrangère française, maintient une position équilibrée vis-à-vis des puissances hors du continent et de ses voisins putschistes du Sahel. Il a rassuré les investisseurs russes quant au respect des engagements de son prédécesseur, tout en s'abstenant lors des votes aux Nations unies condamnant l'invasion russe en Ukraine. En parallèle, il entretient de bonnes relations avec Paris, qui l'aide notamment à sécuriser sa frontière des groupes djihadistes.
Le Congo-Brazzaville est une alliée de longue date de la France. La coopération avec la Russie remonte aux luttes pour l'indépendance et le Parti congolais du travail, toujours au pouvoir, n'a abandonné le marxisme-léninisme qu'à la chute de l'URSS. Denis Sassou-Nguesso, le président congolais, doit recevoir Sergueï Lavrov à Oyo, son fief, à 400 kilomètres au nord de Brazzaville, signe d'une proximité affichée. Si la crise russo-ukrainienne était au centre des entretiens il y a deux ans, lors de la première visite de Lavrov au Congo-Brazzaville, cette fois-ci, le ministre russe est attendu sur le dossier de la crise inter-libyenne. Lavrov devrait ainsi apporter son soutien à Brazzaville, qui est impliqué dans la résolution de la crise inter-libyenne depuis plus d’une décennie. En sa qualité de président du Comité de haut niveau de l’Union africaine sur la crise en Libye, le dirigeant congolais, Denis Sassou-Nguesso, cherchera à s'accorder avec la Russie pour maintenir son implication dans ce dossier épineux.
Le Tchad, dernier bastion de l'influence française au Sahel, est la troisième et dernière étape de la tournée de Serguei Lavrov. La Russie avance prudemment dans ce pays, où Paris maintient encore plus d'un millier de soldats. Les autorités tchadiennes savent tirer profit de leur position géostratégique dans un environnement de crises et n'hésitent pas à agiter la menace d'un virage vers la Russie pour obtenir des concessions des Occidentaux. Moscou, opportuniste, guette le moindre faux pas. Aux obsèques d'Idriss Déby en avril 2021, la présence d'Emmanuel Macron aux côtés du fils du défunt avait été interprétée sur place comme l'adoubement d'une succession dynastique. En mars, la venue de Jean-Marie Bockel, l'envoyé personnel du président, proclamant son « admiration » pour la transition tchadienne, quelques jours après la mort de l'opposant Yaya Dillo Djerou, tué dans un assaut de l'armée contre le siège de son parti, avait ajouté au trouble.
Pour l'investiture du nouveau chef de l’État, la France était plus discrète, représentée par son ministre délégué chargé du commerce extérieur, Franck Riester. Des signaux contradictoires pour le pouvoir à N’Djamena qui s’en agace ouvertement.
Dans ce contexte, la visite de Sergueï Lavrov au Tchad est très attendue. Le ministre russe des Affaires étrangères doit s’entretenir notamment avec le président Mahamat Idriss Déby, fraîchement élu et investi. La Russie, qui a des intérêts économiques dans le pays, notamment dans le secteur pétrolier, pourrait profiter de cette visite pour renforcer sa présence au Tchad. Mais elle devra faire face à la concurrence de la France, qui reste le principal partenaire du Tchad, et à la méfiance des autorités tchadiennes, qui ne veulent pas être instrumentalisées dans la rivalité entre les deux puissances.
En conclusion, la tournée africaine de Sergueï Lavrov intervient dans un contexte géopolitique complexe, marqué par la rivalité entre la Russie et la France, mais aussi par la volonté des pays africains de diversifier leurs partenariats internationaux. La visite de Lavrov au Congo-Brazzaville et au Tchad est très attendue, car elle pourrait avoir des répercussions importantes sur la résolution de la crise inter-libyenne et sur l'équilibre des forces dans la région. Mais la Russie devra faire face à des défis importants, notamment la concurrence de la France et la méfiance des autorités africaines, qui ne veulent pas être instrumentalisées dans les jeux de puissance des grandes puissances.