Tentative de coup d’État en RDC : une affaire aux ramifications internationales
Le 19 mai 2024, la République démocratique du Congo (RDC) a été secouée par une tentative de coup d’État qui a laissé plus de questions que de réponses.
Selon les autorités congolaises, une cinquantaine d’hommes armés, dont plusieurs Américains et un Congolais naturalisé britannique, ont attaqué la résidence du vice-Premier ministre et ministre de l’Économie, Vital Kamerhe, ainsi que le Palais de la Nation, qui abrite les bureaux officiels du président de la République.
Le porte-parole de l’armée, le général Sylvain Ekenge, a affirmé qu’il s’agissait d’une tentative de coup d’État « étouffée dans l’œuf ». Au moins quatre des assaillants ont été tués, dont celui qui semble être le leader de ce groupe, Christian Malanga, un « Congolais naturalisé américain » selon les autorités.
Sur des vidéos tournées et diffusées sur les réseaux sociaux, les assaillants posaient devant un drapeau du Zaïre, nom de la RDC du temps de Mobutu Sese Seko, le dictateur renversé en 1997. « Vive le Zaïre, vive les enfants de Mobutu », peut-on entendre dans l’une des vidéos.
Cependant, de nombreuses zones d’ombre subsistent quant à cette tentative de coup d’État. Tout d’abord, la facilité avec laquelle les hommes armés ont pu accéder au Palais de la Nation, au cœur du pouvoir, interroge.
Des interrogations demeurent également sur la véritable cible de cette attaque. Pourquoi le domicile de Vital Kamerhe a-t-il été attaqué ?
Y a-t-il eu défaillance des services de renseignements ? Que voulaient ces hommes, cinq mois après la réélection du président Félix Tshisekedi, à la tête de ce vaste pays au sous-sol immensément riche ?
Vital Kamerhe, ancien directeur de cabinet du président, a été désigné fin avril 2024 par l’Union sacrée de la nation, la majorité parlementaire en RDC, pour devenir président de l’Assemblée nationale.
Pour mémoire, sur le plan sécuritaire, le géant d’Afrique centrale est confronté dans plusieurs régions à une grave crise, une rébellion (le M23), soutenue par le Rwanda, occupant de vastes pans de la province du Nord-Kivu.
Au-delà des réactions des cheffes de la Mission de l’ONU en RDC (Monusco) et du président de la Commission de l’Union africaine, qui s’est félicité « de la maîtrise de la situation » par l’armée, l’ambassadrice en RDC des États-Unis dans un message sur X, a également condamné cette tentative de coup de force. « Je suis choquée par les événements de ce matin et très préoccupée par les rapports faisant état de citoyens américains prétendument impliqués. Soyez assurés que nous coopérerons avec les autorités de la RDC dans toute la mesure du possible alors qu’elles enquêtent sur ces actes criminels et tiennent pour responsables tout citoyen américain impliqué dans des actes criminels », a déclaré Lucy Tamlyn dans un communiqué.
La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), organisation à laquelle appartient la RDC, a condamné « la tentative de coup d’État où des hommes armés ont entrepris d’attaquer les domiciles de membres du gouvernement et celui du président Félix Tshisekedi », a déclaré le bloc régional dans un communiqué. Le procès des auteurs ou complices présumés de cette tentative de coup d’État doit se tenir le vendredi 7 juin dans l’enceinte de la prison militaire de Ndolo, devant le Tribunal de garnison de Kinshasa-Gombe.
Les médias congolais ont annoncé que 53 personnes sont poursuivies pour « attentat, terrorisme, détention illégale d’armes et de munitions de guerre, tentative d’assassinat, association de malfaiteurs, meurtre et financement du terrorisme ».
Pour autant , l’accusation d’« atteinte à la sûreté de l’État », attendue dans le cas d’une tentative de coup d’État, n’a pas été retenue par le tribunal militaire. Autre élément troublant, l’extrême rapidité avec laquelle l’instruction a été bouclée, moins de trois semaines après les faits. « Les procédures de flagrance sont en effet traitées avec célérité, mais ces procédures sont tout de même tributaires de la gravité des faits », s’étonne Hervé Diakiese, avocat spécialiste des droits humains et porte-parole d’Ensemble, le parti de l’opposant Moïse Katumbi. Parmi ceux interpellés sur-le-champ figureraient notamment, selon les autorités congolaises, « trois Américains ». Contacté par téléphone, Greg Porter, porte-parole de l’ambassade des États-Unis à Kinshasa, dit « être au courant des informations selon lesquelles des citoyens américains pourraient avoir été impliqués dans les événements du 19 mai ». Sans toutefois en préciser le nombre. Quelques heures après l’attaque, sur son compte X, l’ambassadrice Lucy Tamplin avait assuré les autorités congolaises de « la coopération [américaine] dans toute la mesure du possible ». Au moins un autre ressortissant étranger figure parmi les prévenus : Jean-Jacques Wondo, interpellé trois jours après les événements. Congolais disposant également de la nationalité belge, il vit avec sa femme et ses quatre enfants à Bruxelles. Spécialiste des questions de sécurité, il travaillait depuis février 2023 comme conseiller spécial pour la réforme de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Il avait été appelé à cette fonction par l’administrateur général de l’ANR, le colonel à la retraite Daniel Lusadisu Kiambi, auquel le président Tshisekedi avait confié la mission d’« humaniser » l’agence et de « fermer » ses cachots secrets. Le 31 mai 2024, Daniel Lusadisu Kiambi, ancien des Forces armées zaïroises et de la Division spéciale présidentielle (DSP, une unité d’élite créée par l’ancien président Mobutu Sese Seko), formé à l’Ecole royale militaire de Belgique tout comme Jean-Jacques Wondo, a été relevé de ses fonctions. Il n’a pas été précisé si cette décision était liée aux événements du 19 mai 2024. Les proches de Jean-Jacques Wondo dénoncent « une arrestation arbitraire et un dossier en cours de fabrication ». « Il n’a aucun lien avec Christian Malanga, qu’il n’a rencontré brièvement qu’une fois en 2016 », explique, depuis Bruxelles, Joël Kandolo, beau-frère du prévenu et porte-parole de la famille : « La justice militaire a tout d’abord ressorti une photo où Jean-Jacques Wondo apparaît en 2016 au côté de Malanga.
Maintenant, elle l’accuse d’avoir fourni un moyen de transport aux assaillants. Tout cela n’a aucun sens. » En conclusion, la tentative de coup d’État du 19 mai 2024 en RDC soulève de nombreuses questions et laisse peu de réponses. Bien que les autorités congolaises aient affirmé que la situation était sous contrôle, de nombreuses zones d’ombre subsistent quant à l’identité et aux motivations des assaillants, ainsi qu’aux éventuelles complicités. Le procès des auteurs et complices présumés doit se tenir le 7 juin 2024, mais l’extrême rapidité avec laquelle l’instruction a été bouclée et l’absence d’accusation d’« atteinte à la sûreté de l’État » laissent planer des doutes sur la transparence et l’équité de ce procès. Enfin, la présence de ressortissants étrangers parmi les prévenus, ainsi que les réactions des États-Unis et de la SADC, montrent que cette tentative de coup d’État a des ramifications et des implications au-delà des frontières de la RDC.