Le retour de la Piraterie au large de la Somalie : Une crise réactivée par l’injustice économique
Dans la petite ville côtière d’Eyl, située sur les rives de l’océan Indien, la Piraterie refait surface.
Deux pêcheurs, Farah et Diiriye, témoignent à visage couvert, affirmant que leurs incursions en mer ne sont pas un choix, mais une nécessité imposée par des années de harcèlement et de privation. Ils accusent les chalutiers étrangers de saccager leurs moyens de subsistance et de les pousser à se défendre par des moyens radicaux, Commente Sahnun Ahmed pour la BBC, le 22 décembre 2024
« Ils ont détruit nos moteurs, volé nos filets, et même tué certains de nos proches », déclarent-ils, décrivant une violence omniprésente. Pour ces pêcheurs devenus pirates, la mer est devenue un champ de bataille. Leur histoire est un rappel brutal que, derrière chaque acte de piraterie, se cache un drame humain et économique.
Un phénomène en réémergence
Entre 2005 et 2012, la côte somalienne était le théâtre d’une piraterie florissante. Des dizaines de navires commerciaux étaient détournés chaque année, générant des rançons atteignant des centaines de millions de dollars. La petite ville d’Eyl, surnommée à l’époque « la capitale des pirates », symbolisait cette époque où des groupes armés transformaient des chalutiers en forteresses flottantes.
Cependant, l’intervention conjointe de marines internationales et de forces locales, comme la police maritime du Puntland, avait permis de freiner ces activités. Depuis 2013, les incidents étaient en forte diminution, mais ce calme apparent ne reflétait pas une résolution complète.
Les tensions sous-jacentes, notamment entre les pêcheurs locaux et les chalutiers étrangers, n’ont jamais disparu. Ces derniers sont régulièrement accusés de piller les ressources halieutiques de la région, parfois de manière illégale, exacerbant la frustration des communautés côtières.
Des racines profondes de l’injustice
Les récits de Farah et Diiriye sont emblématiques d’une problématique structurelle. Pour de nombreux pêcheurs somaliens, la piraterie est une réponse désespérée à des décennies de pillage maritime. « Ils prennent tout », déplore Farah. Ce sentiment d’impuissance, face à des acteurs internationaux souvent armés, nourrit une colère qui dépasse la simple survie économique.
Cette piraterie réémergente pose un dilemme moral et stratégique. Si elle reste une activité illégale et dangereuse, elle est aussi perçue par certains comme une forme de résistance contre un système mondial perçu comme injuste.
Une organisation bien rodée
Contrairement à l’image romantisée des pirates solitaires, la piraterie somalienne est une activité hautement organisée. Les groupes comptent souvent une douzaine de membres et reçoivent le soutien financier d’investisseurs locaux, qui fournissent les bateaux, les armes, et le carburant. Les lance-roquettes RPG, par exemple, sont devenus un outil incontournable pour intimider les navires.
Ce modèle économique structuré montre que la piraterie, loin d’être une activité anarchique, repose sur des réseaux bien établis. Ces financements locaux traduisent une réalité économique où peu d’alternatives légales existent pour ces communautés marginalisées.
Un héritage pénible pour les communautés locales
Eyl, en tant qu’ancien épicentre de la piraterie, continue de souffrir des séquelles de cette époque. L’introduction de drogues et d’alcool, largement répandue par les pirates, a laissé une empreinte durable. De nombreux jeunes de la région luttent aujourd’hui contre des addictions, tandis que les anciens pirates, enrichis par les rançons, ont souvent quitté la ville, creusant les inégalités.
Ces dynamiques sociales exacerbent les tensions locales. Les habitants se retrouvent pris au piège : d’un côté, ils subissent les stigmates de la piraterie, et de l’autre, ils n’ont que peu de moyens pour reconstruire une économie viable.
Les efforts en termes de sûreté ne suffisent pas
Face à cette recrudescence, les autorités du Puntland, appuyées par des missions internationales comme l’opération Atalante de l’Union européenne, tentent de rétablir l’ordre en mer. Ces interventions sécuritaires, bien qu’efficaces pour contrer les attaques, ne traitent pas les causes profondes du problème.
La solution passe par des investissements dans les infrastructures locales, la création d’emplois alternatifs pour les jeunes, et une meilleure gestion des ressources maritimes. Sans un soutien économique et politique durable, la région restera vulnérable à la reprise de ces activités illégales.
Une problématique globale et locale
La résurgence de la piraterie au large de la Somalie est un symptôme d’un problème plus vaste. Elle reflète un déséquilibre économique et social où les communautés locales sont marginalisées, tandis que des acteurs internationaux exploitent leurs ressources.
Pour prévenir une nouvelle vague de piraterie, il est urgent de repenser les politiques maritimes et de développer des initiatives inclusives qui offrent aux communautés côtières une alternative durable. La Somalie, en quête de stabilité, doit aussi répondre aux besoins de ses citoyens pour éviter que la mer ne devienne à nouveau un théâtre de violence.