Mozambique en crise : La SADC en échec, entre passivité et crise de confiance régionale
Depuis le 23 décembre 2024, le Mozambique traverse une crise politique et sociale d'une intensité sans précédent.
Tout a commencé lorsque la Cour suprême a validé la victoire controversée du Frelimo, parti au pouvoir depuis près de cinq décennies, lors des élections générales du 9 octobre 2024.
Ce verdict a mis le feu aux poudres, entraînant des manifestations massives à Maputo et dans d'autres régions du pays. Barricades dans les rues, colère visible de la population, et tensions qui montent : le tableau est celui d’un pays au bord de l’implosion.
Une jeunesse en révolte : le conflit générationnel au premier plan
Au cœur des protestations, la jeunesse mozambicaine occupe le devant de la scène. Ce n’est pas un hasard. Comme l’explique le politologue namibien Ndumba Kamwanyah, cette mobilisation reflète un profond sentiment d’exclusion. « Beaucoup de jeunes d’Afrique australe ont l’impression de ne pas être inclus dans la politique. L’ancienne génération continue de dominer les gouvernements », analyse-t-il.
Avec des taux de chômage élevés et peu de perspectives d’avenir, cette génération se sent laissée pour compte par des politiques publiques qu’elle juge inadaptées à ses besoins. Ces frustrations, visibles au Mozambique, résonnent dans toute l’Afrique australe. Elles envoient un message clair aux dirigeants de la région : la jeunesse, qui subit de plein fouet les échecs économiques et sociaux, exige un changement. Cette fracture générationnelle met également en lumière l’épuisement des anciens partis de libération, dont l’héritage peine à répondre aux défis actuels.
Un soutien tacite : les limites des alliances politiques régionales
Si la colère gronde dans les rues, la réponse des voisins du Mozambique reste timide. Plusieurs gouvernements de la région, notamment l'Afrique du Sud, ont apporté un soutien tacite au Frelimo. L’ANC, parti historique sud-africain, a rapidement reconnu la victoire du parti mozambicain, témoignant de l’alliance entre les anciens partis de libération.
Pour Vhahangwele Tsotetsi, consultant en politique publique, cette posture illustre une dynamique de « je te protège, tu me protèges ». Une solidarité qui, selon lui, reflète un manque de courage politique : « Ce soutien empêche de demander des comptes et retarde une éventuelle sortie de crise, comme la tenue de nouvelles élections. »
Cependant, ce silence des gouvernements voisins s’explique aussi par des fragilités internes. L’ANC, en difficulté sur le plan national, cherche à préserver ses alliances historiques pour assurer sa propre survie politique. Cette logique de compromis rend improbable une pression collective sur le Frelimo, prolongeant ainsi l’impasse mozambicaine.
Un bilan humain et humanitaire alarmant
Les manifestations et la répression violente qui en ont découlé ont provoqué des pertes humaines dramatiques. Selon des ONG locales, au moins 134 personnes ont perdu la vie en une semaine, tandis que des centaines d'autres ont été blessées ou arrêtées.
Face à cette violence, des milliers de Mozambicains ont choisi de fuir. Dans le sud du Malawi, notamment à Nsanje, près de 2 500 familles déplacées ont été recensées. Ces réfugiés rapportent des récits de pillages, d’incendies de maisons, et d’une insécurité croissante. Bien que des aides d’urgence aient été déployées – notamment par le gouvernement malawite et l’UNHCR – les besoins dépassent largement les moyens disponibles.
La SADC sous pression : un silence lourd de conséquences
La Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC), censée jouer un rôle stabilisateur, est au centre des critiques. Malgré la gravité de la crise, l’organisation régionale peine à apporter une réponse claire.
Pour de nombreux observateurs, ce silence s’explique par des intérêts politiques partagés entre les gouvernements membres. Plusieurs dirigeants de la région, eux-mêmes issus de mouvements de libération, hésitent à condamner des pratiques électorales similaires à celles qui les ont maintenus au pouvoir.
Le rôle controversé d’Emmerson Mnangagwa, président en exercice de la SADC et chef de l’État zimbabwéen, illustre cette impasse. Accusé d’ingérence dans les affaires mozambicaines et de partialité envers le Frelimo, il incarne les limites d’une médiation crédible. Cette posture fragilise davantage la SADC, dont l'inaction alimente un climat de défiance généralisé.
Une crise aux implications régionales
Au-delà des frontières mozambicaines, cette crise soulève des interrogations sur la gouvernance en Afrique australe. L’incapacité des partis historiques à répondre aux attentes des jeunes générations menace non seulement la stabilité politique, mais aussi la cohésion sociale dans la région.
Alors que la colère populaire grandit, l’absence de leadership régional pourrait transformer le Mozambique en un foyer d’instabilité prolongée. La jeunesse, marginalisée mais déterminée, reste au cœur de cette équation complexe. À moins d’actions décisives, cette crise pourrait marquer un tournant pour l’ensemble de l’Afrique australe.
RFI, Valentin Hugues, 30 décembre 2024
Agence de presse AFP
Olivier d’Auzon