Niger : La junte prend les commandes de l'uranium, loin de l'influence française
Le coup d’État militaire du 26 juillet 2023 a profondément redéfini le paysage politique et économique du Niger.
Un des secteurs les plus touchés par cette rupture avec l’ancien régime est l’industrie de l’uranium, dont la production est dominée depuis des décennies par Orano, anciennement Areva, à travers sa filiale Somaïr (Société des Mines de l'Air).
Orano, un acteur majeur dans le secteur nucléaire, gérait l’exploitation des mines d’uranium d’Arlit et d’Imouraren, situées dans le désert saharien. Cependant, après la prise de pouvoir par la junte militaire dirigée par le général Abdourahamane Tchiani, le Niger a décidé de reprendre en main ses ressources stratégiques, en particulier l’uranium, un élément essentiel pour l’approvisionnement énergétique mondial.
Une prise de contrôle stratégique
La décision de la junte de prendre le contrôle de Somaïr ne s’est pas faite sans heurts. L’objectif affiché était de redonner au pays sa souveraineté sur ses ressources naturelles, perçues comme longtemps exploitées au profit de la France.
Depuis le coup d’État, le régime militaire a mis en place une série de mesures visant à restreindre l’influence de l’ancienne puissance coloniale, et particulièrement d’Orano. La fermeture des frontières, l’interdiction de l’exportation d’uranium vers les ports et la suspension des activités de Somaïr ont été des gestes symboliques forts.
La junte a voulu marquer sa volonté de contrôler pleinement cette ressource stratégique, dont une grande partie est destinée à l’industrie nucléaire mondiale.
Le coup d’État a mis fin à une relation de longue date entre le Niger et Orano, mais aussi aux exportations régulières de l'uranium nigérien, qui représente une part significative de l’approvisionnement des centrales nucléaires en Europe.
Les mines d’uranium de Somaïr, qui étaient au centre des échanges commerciaux avec la France, ont été un enjeu majeur de ce conflit. Ainsi, la prise de contrôle par la junte de cette société, jusque-là dirigée par Orano, a mis en lumière une nouvelle orientation pour le pays : diversifier ses partenariats économiques et réduire sa dépendance à l’Occident, tout en affirmant sa souveraineté sur ses ressources naturelles.
Une gestion autonome : vers une diversification des partenariats
Face à l’isolement imposé par la fermeture des frontières et l’interdiction d’exporter l’uranium par les voies traditionnelles, le Niger a cherché à s’adapter à la situation en diversifiant ses partenariats économiques.
Le pays a commencé à explorer des accords avec des puissances non occidentales, en particulier la Russie et la Chine. Ces deux pays ont montré un intérêt croissant pour les ressources naturelles du Niger, y compris l’uranium, et ont commencé à prendre une place de plus en plus importante dans le paysage économique et diplomatique nigérien.
Le Niger, en s’éloignant de son ancien partenaire français, a trouvé en la Russie un allié stratégique, notamment en raison des relations militaires et sécuritaires de plus en plus proches entre les juntes du Sahel et la Russie. Les mercenaires du groupe Wagner, liés à Moscou, sont présents au Mali et au Burkina Faso pour soutenir les armées locales dans leur lutte contre les groupes jihadistes.
Ces relations renforcent la position de la Russie au Niger, tout en permettant à ce dernier de contourner l'influence française. Des discussions ont également eu lieu pour explorer la possibilité de fournir de l’uranium à la Russie, qui pourrait avoir un besoin croissant de ce minerai pour ses propres centrales nucléaires, d’autant plus que la Russie joue un rôle clé dans le secteur énergétique mondial.
Une crise économique et géopolitique
Si le Niger a trouvé de nouveaux partenaires pour compenser la perte de l’exportation vers la France, la crise de l’uranium n’en reste pas moins significative pour l’économie nigérienne. Le pays, déjà fragilisé par des années de sous-développement, fait face à une chute des revenus liés à l’exportation de l’uranium, une ressource qui représente une part importante de ses recettes.
Le blocage des exportations d’uranium, combiné à une gestion des mines perturbée par le régime militaire, a conduit à une accumulation de stocks d’uranium non exportés, estimés à 1 150 tonnes à la fin de l’année 2023, dont la valeur s’élevait à environ 210 millions de dollars.
Pour les communautés vivant autour des mines d’Arlit et d’Imouraren, la situation est particulièrement délicate.
Ces régions dépendent largement de l’exploitation de l’uranium pour leur développement économique. La paralysie des activités minières et le blocage des exportations risquent de plonger ces communautés dans une crise économique plus profonde, malgré les promesses de redressement de l’économie nigérienne par la junte.
Le manque de nouvelles sources de financement pour ces projets, ainsi que l’absence d’une alternative énergétique locale à la hauteur de la demande, pourrait exacerber les inégalités et la pauvreté dans ces zones.
Le rôle des nouveaux alliés : Russie et Chine
L'un des développements les plus remarquables de cette crise est l’implication accrue de la Russie et de la Chine dans le secteur de l'uranium au Niger. Si la Chine s’est déjà positionnée comme un acteur clé dans l’infrastructure et les projets énergétiques en Afrique, son rôle dans l’uranium nigérien pourrait s’intensifier.
Le pays cherche à sécuriser l’approvisionnement en matières premières pour ses industries, et l’uranium du Niger représente une ressource stratégique pour ses centrales nucléaires.
La Russie, de son côté, semble avoir trouvé en l’uranium nigérien une opportunité pour compenser les sanctions économiques occidentales qui affectent son secteur nucléaire, tout en consolidant son influence géopolitique dans la région.
Le rapprochement entre le Niger et la Russie, renforcé par la coopération militaire et sécuritaire, pourrait jouer un rôle déterminant dans la redéfinition des relations économiques entre les deux pays.
Une dépendance à l’uranium qui se transforme
Le conflit autour de l'uranium et de la prise de contrôle de Somaïr par la junte a révélé une dynamique complexe entre la souveraineté nationale et les enjeux géopolitiques mondiaux. Tandis que le Niger cherche à diversifier ses partenariats économiques, il doit faire face à une double pression : maintenir ses capacités d’exploitation de l'uranium tout en équilibrant ses relations avec des puissances étrangères, notamment la Russie et la Chine.
Dans le même temps, la France se voit contrainte de revoir ses stratégies d’approvisionnement en uranium, alors que la politique de la junte semble indiquer un retrait progressif de l’influence française.
Par Olivier d’Auzon.