La Syrie selon Poutine
Lors de sa session annuelle de questions-réponses, Vladimir Poutine a livré une lecture stratégique des récents bouleversements au Moyen-Orient, illustrant une approche à la fois pragmatique et calculée pour défendre les intérêts russes.
Ses déclarations sur la Syrie, Israël et la Turquie dévoilent une logique réaliste qui permet à Moscou de s’adapter à un environnement géopolitique en mutation, tout en naviguant habilement entre alliances complexes et critiques ciblées.
Un positionnement nuancé sur la Syrie
Pour Poutine, l’intervention militaire russe en Syrie a atteint son objectif principal : empêcher la création d’une enclave terroriste comparable à celle qui avait émergé en Afghanistan. À ses yeux, les changements récents sur le terrain ne doivent pas être interprétés comme un échec russe.
Il affirme que les groupes qui ont pris le contrôle en Syrie ont évolué dans leurs positions et que leur reconnaissance par l’Occident reflète cette transformation.
Pour autant, le président russe n’hésite pas à critiquer la reddition rapide de certaines forces syriennes et pro-iraniennes face aux avancées des militants soutenus par l'étranger.
Il pointe leur incapacité à défendre Alep et d’autres régions stratégiques, soulignant implicitement que la Russie avait raison de ne pas s’appuyer exclusivement sur ces alliances fragiles.
Ce constat s’inscrit dans une volonté de se distancer de la débâcle locale tout en renforçant l’image d’une Russie réaliste et indépendante dans ses engagements.
Une approche différenciée envers Israël et la Turquie
Poutine a également abordé les implications des actions militaires d’Israël et de la Turquie en Syrie, adoptant des positions nettement contrastées. Israël est directement critiqué pour son expansion militaire et son occupation en Syrie, ainsi que pour ses politiques en Palestine, notamment les colonies illégales et les opérations militaires à Gaza.
Ces critiques s’inscrivent bel et bien dans la continuité des positions russes et servent à renforcer l’image de Moscou en tant que défenseur des normes internationales et des droits des peuples opprimés.
En revanche, la Turquie, malgré ses interventions en Syrie et son soutien au groupe terroriste désigné Hayat Tahrir al-Sham (HTS), bénéficie d’un traitement bien plus indulgent. Poutine justifie les actions d’Ankara comme une réponse légitime pour sécuriser ses frontières et faciliter le retour des réfugiés.
Il exprime même son espoir que la Turquie contribue à résoudre la question kurde dans ce nouveau contexte.
Cette différence de traitement reflète la réalité des relations russo-turques. Contrairement à Israël, la Turquie entretient avec la Russie des liens stratégiques approfondis, notamment dans les domaines de l’énergie, du commerce et de la défense.
Dans ce contexte, Poutine a même loué la fiabilité et la compétence du président Erdogan, qu’il considère comme un partenaire cohérent et pragmatique. Ces relations étroites rendent toute critique publique d’Ankara contre-productive, surtout dans un contexte où Moscou a besoin de conserver cette alliance stratégique.
Calculs de soft power et réalités régionales
L’attitude différenciée de la Russie envers Israël et la Turquie repose également sur des considérations de soft power. Dans le monde arabe et musulman, Israël est largement perçu comme une force occupante et oppressive, tandis que la Turquie jouit d’un soutien plus large, notamment parmi les Syriens opposés au régime d’Assad.
En critiquant Israël tout en restant conciliant envers Ankara, Moscou renforce son image auprès des populations de la région tout en évitant de compromettre ses relations bilatérales avec la Turquie.
Poutine n’a pas non plus hésité à souligner l’échec des unités pro-iraniennes et de l’armée syrienne, affirmant qu’elles ont abandonné des positions stratégiques sans réelle résistance. Cette critique, bien que subtile, permet à la Russie de se dissocier des revers de ses anciens alliés tout en consolidant sa posture de puissance pragmatique, désireuse de s’adapter aux nouvelles dynamiques.
Pragmatisme au service des intérêts nationaux
L’approche de Poutine illustre assurément un pragmatisme froid. En refusant de condamner ouvertement la Turquie, il protège des relations bilatérales essentielles qui servent les intérêts économiques et stratégiques russes. En même temps, ses critiques envers Israël renforcent l’image d’une Russie alignée sur les aspirations des populations arabes et musulmanes.
Cette stratégie d’équilibriste permet à Moscou de maintenir sa position dans un Moyen-Orient de plus en plus fragmenté. Elle met également en lumière la priorité absolue de Poutine : défendre les intérêts nationaux de la Russie, même si cela implique de décevoir certains alliés ou supporters. En s’adaptant aux réalités régionales et en évitant des confrontations inutiles, Poutine maximise les chances de maintenir et, potentiellement, d’élargir l’influence russe.
En fin de compte, cette posture réaliste pourrait ne pas garantir un succès à long terme, mais elle évite les risques d’échec immédiats, tout en préservant les relations clés et les opportunités futures. Le pragmatisme de Vladimir Poutine, aussi froid soit-il, s’avère être une arme efficace pour naviguer dans les complexités du Moyen-Orient.
Par Olivier d’Auzon.