Khmeimim, cœur battant de la présence russe en Syrie
Sous le ciel clair de Khmeimim, dans l’ouest de la Syrie, le portrait monumental de Vladimir Poutine veille sur la base aérienne qui incarne la puissance militaire russe dans la région.
Non loin, un soldat salue un convoi venu de Homs, témoin silencieux des changements qui redéfinissent la présence de Moscou en Syrie. Ces dernières semaines, des centaines de soldats et des véhicules ont discrètement quitté plusieurs régions syriennes pour se recentrer ici, à Khmeimim, symbole d’un redéploiement stratégique.
Ce retrait partiel s’accompagne de tractations complexes entre Moscou et les nouveaux dirigeants syriens, qui redessinent la relation entre les deux pays. Depuis la chute de Bachar El-Assad le 8 décembre 2024, la Syrie a entamé une transition politique périlleuse.
Le gouvernement intérimaire, composé d’anciens opposants et de technocrates, s’efforce de stabiliser un pays meurtri, tout en jonglant avec les attentes des puissances étrangères, révèle the Economist dans son article intitulé : « The secret talks between Syria’s new leaders and the Kremlin », publié le 16 décembre 2024.
Pour la Russie, le défi est double : préserver ses acquis stratégiques tout en allégeant une présence militaire devenue coûteuse. Engagée dans une guerre prolongée en Ukraine et soumise à des pressions économiques croissantes, Moscou cherche à redéfinir son rôle en Syrie sans perdre de son influence dans une région clef.
Khmeimim : un bastion, un symbole
Le regroupement des troupes russes à Khmeimim est bien plus qu’un simple ajustement militaire. La base, équipée pour résister à des attaques majeures, est devenue le cœur de la stratégie russe en Syrie. Pourtant, ce redéploiement trahit aussi les limites de Moscou. Une partie des forces a été redéployée en Ukraine, reflétant les priorités changeantes du Kremlin.
Cette consolidation vise également à réduire les coûts. « La Russie veut montrer qu’elle reste un acteur clef en Syrie, mais avec des moyens limités », explique un diplomate occidental. Cependant, ce retrait partiel a laissé un vide dans le nord et l'est du pays. Dans ces zones, autrefois sous contrôle russe, la Turquie et ses alliés rebelles intensifient leurs activités, tandis que les forces kurdes, inquiètes de l’expansion turque, revoient leurs alliances.
Sur le terrain, la situation est devenue plus complexe.
Les Kurdes, souvent soutenus par les États-Unis, tentent de se positionner face à des adversaires renforcés, alors que les forces américaines dans le nord-est surveillent les mouvements turcs et russes avec prudence.
Un jeu de négociations serrées
Pour Damas, les discussions avec Moscou sont un exercice d’équilibrisme. La Russie souhaite maintenir un contrôle stratégique sur Khmeimim et Tartous, sa base navale en Méditerranée, en échange d’un soutien économique plus marqué. Damas, de son côté, espère une réduction des déploiements russes en dehors des régions côtières, où l’influence russe reste la plus forte.
Les propositions avancées par Moscou incluent la création d’un conseil conjoint pour superviser la sécurité nationale syrienne, une manière d’exercer une influence sans engagement militaire direct.
Cette approche divise les dirigeants syriens : certains, notamment parmi les technocrates, plaident pour une ouverture accrue vers l’Occident et les pays du Golfe, tandis que d’autres, issus des cercles proches de l’ancien régime, estiment que les liens avec la Russie restent indispensables.
Ces négociations révèlent aussi les contraintes du Kremlin. Soucieuse de réduire son empreinte militaire, la Russie mise sur une approche pragmatique : conserver l’essentiel tout en délestant une partie de son poids en Syrie. Mais ce pari est risqué.
Les répercussions régionales
Ce repositionnement russe a des conséquences qui dépassent largement les frontières syriennes. L’Iran, allié majeur de l’ancien régime Assad, a rapidement renforcé sa présence dans les régions laissées vacantes par les forces russes. Cette dynamique suscite l’inquiétude d’Israël, qui redoute une intensification de l’influence iranienne près de ses frontières.
De son côté, la Turquie voit une opportunité.
En renforçant ses positions dans le nord de la Syrie, Ankara cherche à consolider son influence, compliquant davantage les efforts de stabilisation. Cette recomposition des forces sur le terrain reflète les ambitions concurrentes des grandes puissances dans une région où chaque mètre carré devient une pièce d’échiquier géopolitique.
Pour les États-Unis et leurs partenaires européens, cette reconfiguration est à la fois un défi et une opportunité. Réduire l’influence russe pourrait ouvrir la voie à un règlement politique plus inclusif, mais le risque d’un effondrement sécuritaire reste élevé.
La Russie face à ses dilemmes
Les évolutions en Syrie mettent en lumière les dilemmes du Kremlin. Affaiblie par l’usure de son armée en Ukraine et des pressions économiques internes, la Russie doit trouver un équilibre entre ambitions stratégiques et réalités financières.
« La Russie est à un tournant : elle peut réduire son rôle de manière contrôlée ou risquer de s’enliser davantage », analyse un expert en géopolitique. Ce tournant pourrait également redéfinir les équilibres au Moyen-Orient. Les dynamiques entre la Russie, l’Iran, la Turquie, Israël et les puissances occidentales auront un impact direct sur l’avenir de la Syrie et, au-delà, sur la stabilité régionale.
À la fin de l'année 2024, la présence russe en Syrie se transforme sous l'effet d'une série de décisions stratégiques et diplomatiques. L'un des développements majeurs est le retrait partiel des troupes russes des régions syriennes, permettant de consolider leur présence autour de la base aérienne de Khmeimim, située au cœur de la "bulle" de protection de la base navale de Tartous, à environ 80 kilomètres au sud. En l'absence de combats actifs, il devient logique pour la Russie de rapatrier certaines de ses forces et équipements, ce qui est facilité par des avions-cargos qui transportent du matériel depuis d'autres zones de conflit.
Sur le terrain, un changement de cap notable se dessine dans les relations entre la Russie et le groupe rebelle HTS (Hayat Tahrir al-Sham).
Bien qu'HTS ait longtemps perçu la Russie comme un ennemi, les discussions récentes suggèrent une évolution pragmatique. Le groupe n'a pas encore formulé de demande d'extradition du président Bachar El-Assad, et semble désormais ouvert à une relation fondée sur des intérêts économiques et géopolitiques mutuels.
HTS, bien qu'il ait longtemps contesté la présence russe, entame des négociations pour permettre à Moscou de maintenir ses bases en Syrie, y compris celle de Tartous, son unique installation navale en Méditerranée. Il apparaît que la Russie cherche à renégocier son bail avec les nouvelles autorités syriennes, probablement motivée par des considérations financières.
Dans un contexte plus large, la Russie explore des alternatives à long terme en Libye et au Soudan voire l’Érythrée. En Libye, bien que la Russie augmente sa présence depuis début 2024, il faudra encore du temps pour que les infrastructures nécessaires à une base militaire équivalente à celles de Khmeimim ou Tartous soient construites.
De plus, la distance accrue depuis la Russie pourrait compliquer le soutien logistique nécessaire à ces installations. Quant au Soudan, la situation actuelle du pays, déstabilisé par une guerre civile, rend toute perspective de coopération militaire impraticable.
Pendant ce temps, les forces russes en Syrie se retrouvent dans une situation précaire. Encerclées par des groupes armés et confrontées à des pénuries alimentaires et en eau, elles souffrent des conséquences de la dégradation économique générale du pays. Selon la Banque Mondiale, 27 % de la population syrienne vit sous le seuil de pauvreté extrême, et cette situation difficile se reflète également dans la vie quotidienne des soldats russes.
Dans certaines zones, les Syriens continuent d’utiliser la monnaie russe et interagissent avec les soldats, qui sont devenus une partie intégrante de l’économie locale. Ce phénomène est similaire à celui observé dans les zones sous influence turque ou américaine, où les monnaies locales sont également utilisées.
Face à cette situation complexe, les nouvelles autorités syriennes cherchent à diversifier leurs relations diplomatiques et économiques.
Bien que la Russie ait promis une aide humanitaire en échange de son maintien à Tartous et Khmeimim, les dirigeants syriens estiment que cette assistance ne suffira pas à eux seuls. Ils souhaitent établir des liens plus solides avec la Russie, afin de pouvoir s’ouvrir davantage au reste du monde. Dans cette optique, l'Ukraine a proposé son aide, offrant de fournir du blé à la Syrie.
Enfin, HTS, en pleine négociation avec les puissances qui cherchent à s'impliquer en Syrie, essaie de trouver un équilibre. Les nouvelles autorités syriennes, conscientes des enjeux de cette compétition pour l'influence, ne souhaitent pas s'aligner sur un camp en particulier. Leur objectif ultime est d'obtenir une reconnaissance internationale, un moyen d’assurer leur légitimité sur la scène mondiale et de sortir du cercle de l'isolement diplomatique.
Alors que la Syrie tente de tourner la page après plus d’une décennie de guerre, la manière dont elle réorganisera sa relation avec Moscou sera décisive. Ce moment de transition ne détermine pas seulement l’avenir de la Syrie, mais aussi celui du rôle russe au Moyen-Orient, et peut-être, à terme, la capacité de Moscou à s’adapter à un nouvel ordre géopolitique mondial.
On l’aura compris, la Russie réorganise sa présence en Syrie face à des contraintes militaires et économiques croissantes. Elle a recentré ses forces sur la base stratégique de Khmeimim, tout en retirant des troupes d’autres régions. Ce repositionnement vise à préserver son influence tout en réduisant ses coûts.
Des négociations avec le gouvernement intérimaire syrien sont en cours pour garantir un contrôle sur Khmeimim et Tartous. Toutefois, ce retrait partiel ouvre la voie à d’autres acteurs, comme la Turquie et l’Iran, tandis que les Kurdes et les forces américaines surveillent de près cette reconfiguration.
Cette situation reflète les défis du Kremlin, pris entre la gestion de son engagement en Syrie et son implication prolongée en Ukraine.
Par Olivier d’Auzon