Quel avenir pour les relations entre la France et l’Arabie saoudite ?
En juin dernier, c'était la deuxième visite de Mohammed ben Salman en moins d'un an à Paris et la première étape de son voyage en France.
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Il est le rédacteur en chef du Dialogue. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021) et Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)
Depuis sa précédente visite à Paris en juillet 2022, Mohammed ben Salman est en effet redevenu un acteur incontournable.
Le royaume a par exemple normalisé ses relations cette année avec l’Iran, sous l’égide de la Chine et entretient par ailleurs toujours des relations étroites et profondes avec la Russie.
De plus, il a prouvé sa volonté et son courage pour s’émanciper de la tutelle, voire de l’emprise diront certains, des Etats-Unis de l’administration Biden, en refusant, depuis le début de la guerre en Ukraine, de s’aligner sur la politique américaine et européenne de sanction contre Moscou, et au contraire, en réaffirmant et consolidant son partenariat (pétrolier et stratégique) avec Poutine depuis l’automne 2017 et les premiers accords OPEP+Russie.
La politique de diversification des partenariats et d’alliance de Mohammed ben Salman est donc pour l’instant un franc succès.
La France, même si elle semble mal dirigée à l’heure actuelle et dont la politique étrangère paraît ces temps-ci plus qu’erratique, demeure toutefois un acteur qui pourrait (espérons-le !) de nouveau compter à l’avenir.
Elle reste l’un des membres des 5 pays du Conseil de sécurité de l’ONU, une puissance nucléaire et l’un des 3 premiers pays qui exportent le plus d’armes dans le monde chaque année.
L’Arabie Saoudite depuis 2015, un nouvel allié de l’Occident
Au-delà de la modernisation spectaculaire du pays et les grands projets lancés par Mohammed ben Salman, comme la ville futuriste de Neom, sur la Mer Rouge, le prince héritier a également entrepris une véritable révolution dans le pays depuis 2015 et l’arrivée de son père sur le trône, concernant notamment concernant les mentalités.
De fait, l’Arabie saoudite d’après 2015 ne sera plus jamais la même qu’avant cette date.
En effet, le premier et principal objectif de Mohammed ben Salman fut de combattre franchement et concrètement, sans les ambiguïtés de ses prédécesseurs ou de certains pays arabes, les Frères musulmans et le terrorisme.
Dès lors, au-delà de la force brute, et avec ses deux alliés régionaux que sont l’égyptien Sissi et l’émirati Mohamed Ben Zayed, il avait compris pertinemment que l’on ne combat une idée ou une idéologie qu’avec une autre idée.
C’est pourquoi sa lutte contre le radicalisme, encore une fois sans précédent dans la région et surtout dans son propre pays, est multiformes et multidirectionnelles.
Elle passe d’abord par une amélioration des conditions sociales, la lutte contre la corruption endémique et une modernisation de l'économie puis par la promotion d’une sorte de néonationalisme arabe, des réformes profondes dans les systèmes éducatifs et les enseignements religieux ainsi qu’une véritable volonté de révolutionner des mentalités.
Autre exemple important, Mohammed ben Salman a coupé, de manière brutale et historique, les vivres à toutes les organisations salafistes extrémistes et douteuses dans la région mais aussi dans le monde via les purges au sein de la Ligue islamique mondiale et surtout, en écartant les grands féodaux du royaume qui jouaient leur propre partition dans ce domaine à l’international…
Pourtant, les diplomates et les responsables politiques français (à l’inverse des militaires et des services spéciaux hexagonaux qui eux jugent ces nouvelles alliances géostratégiques à leur juste valeur) ne voient encore dans ces pays que de simples mais riches partenaires commerciaux…
L’Élysée mais surtout l’exposition Mondiale 2030
Mohammed ben Salman a donc été reçu le vendredi 16 juin à l'Élysée.
Au cours de son déjeuner de travail avec le président français Emmanuel Macron, plusieurs dossiers avaient été évoqués : la guerre en Ukraine et ses conséquences pour le reste du monde, les grands dossiers de stabilité régionale dont l’impasse politique au Liban, le nucléaire iranien ou encore les échanges économiques et commerciaux entre Paris et Riyad.
Mais à propos de la guerre en Ukraine, le royaume n’a nullement changé sa ligne de conduite, sachant pertinemment que Paris est dans l’erreur dans cette affaire et ce, depuis le début.
Le royaume saoudien a la main sur les cours du pétrole et ne voudra jamais rompre ses bonnes relations avec Moscou comme d’ailleurs encore une fois Le Caire et Abou Dhabi.
D’ailleurs, l’Arabie saoudite est un médiateur dans le conflit ukrainien alors que la France a finalement pris parti de Kiev en suivant piteusement et contre ses propres intérêts les positions anti-russes de Washington et Bruxelles.
Il y a quelques mois, Mohammed ben Salman, lui, a été au cœur, avec un certain succès, des négociations concernant un échange de prisonniers entre Russes et Ukrainiens.
L'Arabie saoudite est donc bien en position de force à l'international. Quant à la France, bien que Paris ait mis en sourdine, du moins officiellement, ses leçons de moral droit-de-l’hommistes et sur la démocratie, elle est totalement devenue inaudible dans la région.
Et malheureusement, comme on l’a vu sur la guerre en Ukraine, mais également sur le Liban, la Syrie, l’Iran, les positions française et saoudienne ne convergent plus, les premières étant toujours embourbées dans une ir-realpolitik déconcertante !
Lors de son séjour parisien, après l’Élysée, plusieurs autres rendez-vous avaient été prévus pour le dirigeant saoudien, comme le 22 et 23 juin, le sommet pour un nouveau pacte financier mondial organisé par l'Élysée.
Mais le point d’orgue et qui fut assurément le plus important pour Mohammed ben Salman, c’est la cérémonie dans la capitale française, pour officialiser la candidature de l’Arabie saoudite à l'exposition universelle de 2030.
Le royaume a toutes ses chances grâce à sa puissance financière. Ce serait par ailleurs un grand succès pour le futur roi puisque cela coïnciderait avec la date de l’aboutissement de son fameux plan, le plan « Saudi Vision 2030 », un projet ambitieux de développement et de modernisation du pays mis en place par le gouvernement saoudien en 2016 et porté à bout de bras par Mohammed ben Salman, visant à faire sortir le pays de sa rente pétrolière historique tout en diversifiant son économie.