Sénégal : De la prison au palais… Bassirou Diomaye Faye, le pari gagnant d’Ousmane Sonko
L’opposant est toujours l’un des favoris de la présidentielle et il est désormais sur le point d’être officiellement déclaré le futur président du Sénégal.
Il était pourtant méconnu des Sénégalais lorsqu’il a été placé en détention il y a près d’un an.
La caravane de Bassirou Diomaye Faye est arrivée au petit jour du vendredi 22 mars dans la cité du rail. La campagne électorale s’achève à la fin de la journée et le candidat n’a pas une minute à perdre. Casquette « Diomaye président » sur la tête, juché sur le toit de sa voiture, il harangue d’une voix rauque la foule qui a bravé l’aube pour venir l’écouter. De sa main gauche, il brandit un balai sous les hourras de ses partisans : le symbole de sa volonté de « nettoyer le Sénégal » de la mauvaise gouvernance et de la corruption – l’un des axes principaux de son programme.
Bassirou Diomaye Faye : Le peuple sénégalais a fait le choix de la rupture
Il y a tout juste une semaine que Bassirou Diomaye Faye et son mentor, Ousmane Sonko, ont été libérés de la prison du Cap Manuel. Lui a passé onze mois en détention et a dû rattraper la campagne électorale au pied levé. Vendredi soir, il devait être rejoint par le fondateur du parti des Patriotes africains du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef, dissous), dont la candidature a été invalidée en janvier, pour un meeting de clôture dans la ville de Mbour, selon Jeune Afrique.
Les jours précédents, les deux hommes avaient fait le choix de se séparer pour toucher un maximum d’électeurs. La campagne de l’opposant se clôt sur une bonne nouvelle pour son équipe : le ralliement du candidat recalé Karim Wade. Le fils de l’ancien président Abdoulaye Wade, qui ne pourra pas participer au scrutin du 24 mars, a annoncé vendredi que le Parti démocratique sénégalais (PDS) lui apporterait son soutien.
De la prison au Palais
Dans cette élection présidentielle imprévisible, marquée par une succession de rebondissements, le parcours de Bassirou Diomaye Faye est aussi inédit que le reste. Lorsque le secrétaire général du Pastef est arrêté, le 14 avril 2023, il est encore méconnu des Sénégalais. Poursuivi pour « outrage à magistrat » et « appel à l’insurrection », il passera presque un an en prison en détention préventive, avant d’être libéré à la faveur d’une loi d’amnistie proposée par le président Macky Sall.
Au Sénégal, la presque victoire de l’opposition
Discret, voire austère, ce proche d’Ousmane Sonko, auprès de qui il a co-fondé le Pastef en 2014, est l’une des chevilles ouvrières du « projet » patriote. À sa sortie de prison, il est acclamé en héros par des milliers de Dakarois. Le voilà devenu le visage du programme qu’il a participé à concevoir, remplaçant au pied levé son mentor empêché.
« Je n’ai pas choisi [Bassirou Diomaye Faye] par amour, par proximité ou par préférence, mais par réflexion objective et choix stratégique. Ce n’est pas un choix de cœur, mais de raison », annonçait Ousmane Sonko tandis qu’il informait ses militants de sa décision portée sur son second pour porter les couleurs du Pastef à la présidentielle. « Ce schéma, il y pensait depuis longtemps. La force d’Ousmane Sonko est d’avoir su placer chacun de ses proches sur le même pied d’égalité, mais en conservant son leadership, ce qui lui permet de faire accepter ses choix », glisse un responsable de l’équipe de campagne de Bassirou Diomaye Faye.
« On ne doit pas choisir un président qui est dans l’ombre de quelqu’un. On ne choisit pas un président pour qu’un autre fasse le travail à sa place. Il faut se demander s’il est compétent, s’il a été préparé, s’il était dans les dispositions pour être candidat », a ainsi taclé Cheikh Tidiane Youm, dont le Parti pour l’unité et le rassemblement (PUR), allié du Pastef au sein de la coalition Yewwi Askan Wi (YAW), présente son propre candidat dimanche en la personne d’Aliou Mamadou Dia.
Ombre tutélaire de son protégé, le nom d’Ousmane Sonko est sur toutes les lèvres de ses partisans et son visage, sur toutes les affiches de campagne. Mais c’est bien le nom de Diomaye Faye que les électeurs pourront glisser dans l’urne, dimanche 24 mars. « L’important, ce n’est pas la personne. Le Sénégal n’a pas besoin de messie ni de héros », a insisté le candidat le 15 mars, dès sa sortie de prison. Lui qui se définit comme « particulièrement raisonnable et raisonné », comme un « homme de concertation et de dialogue », a eu tout juste une semaine pour endosser le boubou d’un homme d’État.
Sénégal : Qui est Bassirou Diomaye Faye, l’archifavori de la présidentielle ?
« La machine de communication de BBY [Benno Bokk Yakaar, coalition présidentielle] a fait d’Ousmane Sonko quelqu’un de violent. Bassirou Diomaye Faye est quelqu’un de sage qui le complète bien », estime un responsable politique proche des deux hommes. Sérère issu d’un milieu modeste, Bassirou Diomaye Faye a toujours assumé fièrement ses origines rurales et son caractère modéré. À ceux qui lui reprochent de ne pas « sourire assez », il rétorque que « sourire ne développe pas un pays ». « C’est un animal à sang froid. Il glisse ses piques dans la conversation et sait faire passer des messages dans un calme absolu », remarque un expert électoral qui l’a rencontré après sa sortie de prison.
« C’est un homme très structuré et consensuel. Il sait arriver à ses objectifs et trouver les points qui permettent d’avancer dans une discussion », ajoute l’ancien responsable du Parti démocratique sénégalais (PDS) Cheikh Dieng, qui a battu campagne pour la coalition Diomaye président dans la banlieue de Dakar.
Le vote des jeunes s’annonce décisif
Le manque d’expérience du candidat est un aspect que ne manquent pas de souligner ses adversaires, dont le candidat de la majorité Amadou Ba, qui vise lui aussi une victoire au premier tour ce dimanche. « Les candidats du système néocolonial critiquent Diomaye pour son inexpérience en détournements de deniers publics, en assassinat de son propre peuple, en mesures antidémocratiques et en maintien du statu quo. Gardez votre expérience ! Le 24 mars 2024, nous allons élire « l’inexpérimenté » Bassirou Diomaye Faye cinquième président de la République du Sénégal », a rétorqué l’un de ses soutiens, le député Guy Marius Sagna.
La libération de Sonko et Diomaye Faye, à une semaine du vote, a permis de booster une campagne jusqu’ici assurée par leurs proches, dont les candidats Habib Sy et Cheikh Tidiane Dièye, qui se sont tous deux désistés jeudi 21 mars. Tous savent néanmoins que leur candidat est soumis au défi de la participation de la jeunesse. Les partisans du Pastef, prompts à se mobiliser dans la rue, se presseront-ils dans les urnes ? Partout où elles passent, les caravanes du Pastef rappellent aux électeurs qu’il leur faudra exprimer leurs suffrages dans les bureaux de vote pour assurer la victoire du parti.
Dans un pays où 60 % de la population a moins de 25 ans, leur vote s’annonce clé pour le Pastef, particulièrement populaire au sein de la jeunesse urbaine. D’autant que les primo-votants ont tendance à voter contre le pouvoir. Mais près de la moitié des 18-25 ans ne sont pas inscrits sur les listes électorales, selon l’audit du fichier réalisé après les législatives de juillet 2022 – soit près d’un million de voix. Les citoyens de moins de 20 ans ne représentent eux que 1 % des électeurs du pays.
Antisystème
Le discours de rupture du candidat du Pastef fera-t-il la différence ? Comme Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye se représente comme alternative au système en place. Une rupture qui passe, notamment, par la renégociation des contrats de pêche et des contrats gaziers et pétroliers, par la « réinvention » de la relation du Sénégal avec l’ancienne puissance colonisatrice et la remise en cause du franc CFA.
Bassirou Diomaye Faye, qui se réclame de l’ancien président Mamadou Dia et cite volontiers le rappeur Youssoupha en interview, assume cette position. « On ne doit pas accepter qu’il y ait des tabous autour de certaines questions, a-t-il défendu au sujet du F CFA. On ne peut pas avoir un Sénégal souverain, juste et prospère, sans souveraineté monétaire. » Au niveau des institutions, il défend également la création d’un statut de vice-président – qui ne pourrait être mis en place au cours de son mandat –, le renforcement de l’indépendance de la justice et la création d’une Cour constitutionnelle, en remplacement du Conseil aujourd’hui installé.
« Sa position sur le F CFA et certaines de ses déclarations ont déçu, veut croire un cadre de la coalition présidentielle. Je ne sais pas si nous gagnerons au premier ou au deuxième tour, mais la victoire semble désormais assurée. » Les membres de l’équipe de campagne de Diomaye, qui misent eux aussi sur une victoire au premier tour, appellent pour leur part leurs partisans à sécuriser le scrutin. « Une élection n’est jamais gagnée d’avance », avait prévenu le responsable du Pastef à sa sortie de prison.