Taxer les produits de luxe, une mesure clé pour une économie protégeant le climat
Un système de taxation carbone sur les produits de luxe a été mis au point par des scientifiques. Il est bon pour le climat et, en s’adaptant aux revenus de chacun, ne reproduit pas les inégalités.
Taxer les riches — ou du moins, les produits qu’ils utilisent —, c’est bon pour le climat et la justice sociale. C’est ce que montre une étude publiée le 11 juillet dans la revue One Earth, et réalisée par une équipe de cinq scientifiques des universités de Leeds (Angleterre) et de Lausanne (Suisse).
Quelques pays — comme le Canada et le Mexique — ont mis en place des taxes carbone au cours des dernières années. À l’échelle mondiale, ces taxes sont pour le moment soit appliquées de manière uniforme sur tous les produits (qu’ils soient vitaux ou superflus), ou bien focalisées sur certains produits polluants, comme le carburant. Quoique partant d’une bonne intention, elles génèrent, dans leur forme actuelle, des inégalités. Des études menées dans des pays riches [1] ont montré qu’elles pénalisaient davantage les foyers pauvres. La tentative du gouvernement français d’augmenter la taxe sur l’essence, en 2018, en est un bon exemple : elle a déclenché la révolte des Gilets jaunes, qui dénonçaient les effets de cette hausse du prix du carburant sur leurs budgets déjà serrés.
Voyages en avion, Porsche décapotables...
L’équipe de chercheurs a tâché de comprendre s’il était possible de mettre au point des taxes carbones à la fois efficaces et justes socialement. Pour ce faire, elle a mis au point un modèle, issu de données sur l’empreinte carbone des foyers dans quatre-vingt-huit pays différents. Les scientifiques ont ensuite déterminé ce qui constitue un produit de base et un produit de luxe dans chacun de ces pays, et imaginé une taxe carbone évoluant en fonction de ce classement.
« Certaines émissions sont produites pour permettre à chacun de vivre décemment : elles couvrent des besoins essentiels comme le logement, la nourriture ou l’accès aux offres de soin, écrivent les chercheurs. D’autres sont générés à des fins de prestige : par exemple, faire un vol longue distance pendant les vacances, ou conduire une Porsche décapotable pendant l’été. C’est la richesse qui stimule ces émissions, pas les besoins humains fondamentaux. » À l’échelle mondiale, rappellent-ils, les 10 % des individus les plus riches sont responsables de près de la moitié des émissions de gaz à effet de serre.
Avec le système de taxation des produits de luxe qu’ils proposent, aux États-Unis, les trajets en avion, l’achat d’une nouvelle voiture et les voyages organisés seraient par exemple taxés à plus de 200 dollars par tonne de carbone émise, contre moins de 100 dollars pour le chauffage et l’électricité. Ce taux fluctuerait bien évidemment en fonction des pays et du coût de la vie locale, précisent les chercheurs. Dans les pays les plus pauvres, qui sont également les moins responsables, historiquement, du réchauffement climatique, le prix moyen de la tonne de carbone pourrait osciller autour de 10 dollars, selon reporterre.
Efficace et juste socialement
La modélisation des chercheurs montre que taxer davantage les produits de luxe est non seulement juste socialement — les foyers privilégiés étant davantage sollicités financièrement, dans ce système, que les plus défavorisés, en particulier dans les pays riches —, mais également efficace.
Selon leurs calculs, cette mesure pourrait permettre de diminuer les émissions mondiales des ménages de 6 % par an, et d’éviter ainsi l’émission de 100 gigatonnes d’équivalent carbone d’ici 2050. Cela représente 75 % des réductions d’émissions requises pour que les ménages s’alignent sur une trajectoire compatible avec un réchauffement de la planète de 2 °C, et quasiment un tiers des efforts que les foyers doivent fournir pour rester sous le seuil des 1,5 °C. « La taxation carbone des produits de luxe peut contribuer de manière substantielle aux objectifs de l’Accord de Paris », résument les scientifiques.
« Un élément clé de la politique climatique »
La mise en place d’une telle mesure devra cependant relever plusieurs obstacles, anticipent-ils. Parmi eux : il pourrait être difficile de collecter les informations nécessaires pour déterminer avec précision quels produits sont utilisés pour satisfaire des besoins essentiels, et lesquels doivent être classés comme relevant purement du luxe. Cette taxe ne peut, par ailleurs, pas réduire à elle seule les émissions liées à la consommation. Des études récentes montrent en effet que la moitié des émissions des 10 % des plus gros émetteurs mondiaux sont générées par leurs placements, et non par leur achat de sacs, chaussures ou autres babioles polluantes. Les investissements financiers pourraient même représenter jusqu’à 70 % des émissions des 1 % des plus gros émetteurs mondiaux, signalent les chercheurs.
Enfin, certains petits malins pourraient tenter d’échapper à cette mesure en se fournissant en produits de luxe dans des pays à plus faibles revenus, où la taxe carbone serait réduite en conséquence. Pas de quoi se décourager pour autant : compte tenu de ses bénéfices pour l’environnement et la société, la taxation carbone des produits de luxe devrait devenir, selon les chercheurs, « un élément clé de la politique climatique ». Finira-t-elle par se concrétiser ? De l’Espagne aux couloirs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), en passant par le récent rapport de l’économiste Jean Pisani-Ferry sur le financement de la transition écologique, l’idée qu’il faut taxer les ultrariches semble, peu à peu, faire son chemin.