Vidéo. PORTRAIT. Nouveau Premier ministre : Michel Barnier, le négociateur du Brexit en démineur à Matignon
L’ancien ministre qui fut le négociateur de l’Union européenne pour le Brexit a été nommé Premier ministre par Emmanuel Macron, près de deux mois après les élections législatives.
Au terme d’interminables consultations, entre faux-semblants et jeux de dupes, son nom est apparu comme une évidence : qui d’autre que le négociateur en chef de l’Union européenne qui est venu à bout de l’inextricable Brexit pour sortir la France de la situation tout aussi inextricable dans laquelle l’a plongée Emmanuel Macron avec sa dissolution ratée ? C’est donc le montagnard Michel Barnier, aussi à l’aise dans les couloirs feutrés de Bruxelles que sur les pentes enneigées des Alpes, qui va devoir relever le gant.
Plus jeune conseiller général et plus jeune député de France
Né le 9 janvier 1951 à La Tronche (Isère) de Jean Barnier, patron d’une petite entreprise industrielle de gainerie et de Denise Durand, Michel Barnier, benjamin d’une fratrie de trois garçons, qui a grandi à Albertville, incarne finalement à lui seul un demi-siècle de vie politique française et européenne. Gaulliste convaincu, européen fervent, Barnier a su naviguer dans les eaux tumultueuses de la politique avec l’habileté d’un skieur alpin sur une piste noire mais sans jamais parvenir aux sommets, Matignon ou l’Elysée.
« J’ai toujours pensé qu’on pouvait être à la fois patriote et européen », aime-t-il à répéter. Cette conviction, Barnier l’a forgée dès son plus jeune âge, bercé par les récits de la Résistance et les idéaux du général de Gaulle. C’est à 22 ans que Barnier, qui a adhéré dès l’adolescence à l’UDR, fait ses premiers pas en politique. En 1973, le jeune diplômé de l’École supérieure de commerce de Paris est élu conseiller général de Savoie, le plus jeune de France.
Un baptême du feu qui le propulse ensuite sur la scène nationale via les cabinets ministériels : il est conseiller auprès de Robert Poujade, ministre de l’Environnement (1973-1974), de Pierre Mazeaud, secrétaire d’État chargé de la Jeunesse et des Sports (1974-1976), et d’Antoine Rufenacht (1976-1978). En 1978, il devient le plus jeune député de France, un record qui tiendra près de deux décennies.
« J’étais un jeune loup aux dents longues », confiera-t-il plus tard avec un sourire en coin. En 1982, il prend la présidence du conseil général de Savoie et s’engage avec le triple champion olympique Jean-Claude Killy dans la candidature puis l’organisation des XVIe Jeux olympiques d’hiver à Albertville, prévus en 1992.
Le succès des Jeux Olympiques d’hiver d’Albertville en 1992
Michel Barnier et Jean-Claude Killy le 17 octobre 1986 à Lausanne, après que le Comité International Olympique a annoncé qu’Albertville accueillerait les XVIes Jeux Olympiques d’hiver en 1992.Michel Barnier et Jean-Claude Killy le 17 octobre 1986 à
C’est d’ailleurs en 1992 que Michel Barnier entre véritablement dans la cour des grands. Nommé ministre de l’Environnement par Edouard Balladur, il pilote l’organisation des JO d’Albertville. Un succès qui lui vaut les louanges de ses pairs et qui scelle son image d’homme capable de mener à bien les grands projets. Cette expérience le marque profondément, renforçant sa conviction que la France peut briller sur la scène internationale quand elle unit ses forces.
La suite de sa carrière est un enchaînement de postes ministériels : Affaires européennes, Affaires étrangères, commissaire européen ou encore ministre de l’Agriculture de Nicolas Sarkozy à qui il avait apporté son soutien en 2006… « Michel est comme un bon vin de Savoie, il se bonifie avec le temps », plaisante un de ses proches. Cette ascension témoigne de sa capacité à s’adapter à différents contextes politiques, tout en restant fidèle à ses convictions européennes.
Pourtant, derrière cette ascension apparemment sans accroc se cache un homme complexe, parfois critiqué pour son manque de charisme. « Barnier, c’est l’homme invisible de la politique française », lâche un jour Laurent Fabius, son rival au Quai d’Orsay. Une pique qui ne semble pas ébranler l’intéressé : « Je préfère être efficace plutôt que médiatique », rétorque-t-il.
Cette discrétion, Barnier en a fait sa marque de fabrique à Bruxelles, où il a occupé deux mandats de commissaire européen. D’abord en charge de la politique régionale (1999-2004), puis du marché intérieur et aux services (2010-2014), il s’impose comme un technocrate respecté, capable de démêler les dossiers les plus complexes.
« Michel est un horloger suisse dans un monde de pendules à coucou », s’amuse Jean-Claude Juncker, ancien président de la Commission européenne. Cette image de technicien capé, si elle lui vaut le respect de ses pairs, contribue paradoxalement à le maintenir dans l’ombre médiatique jusqu’au séisme du Brexit, le référendum par lequel le Royaume-Uni décide en 2016 de quitter l’Union européenne.
L’immense défi du Brexit
Le Brexit offre à Barnier son plus grand défi et sa plus belle reconnaissance. Nommé négociateur en chef de l’Union européenne, il mène de main de maître les complexes discussions avec Londres. Pendant quatre ans, il tient bon face aux assauts des Brexiteurs, gagnant le respect même de ses adversaires. « Barnier est un gentleman, mais un gentleman coriace », admet l’ancien Premier ministre britannique Boris Johnson. Cette période met en lumière les qualités de diplomate de Barnier, sa capacité à tenir une ligne ferme tout en maintenant le dialogue ouvert.
Cette ténacité, Barnier la puise dans ses racines savoyardes. « La montagne m’a appris la patience et l’humilité », confie-t-il souvent. Des qualités qui lui permettent de maintenir l’unité des 27 États membres face au Royaume-Uni, un exploit que beaucoup jugeaient impossible. Son approche méthodique, sa connaissance approfondie des dossiers et sa capacité à expliquer clairement des enjeux complexes font merveille dans ce contexte tendu.
Pourtant, malgré ces succès européens, Michel Barnier n’a jamais renoncé à ses ambitions nationales. En 2021, il tente sa chance à la primaire des Républicains pour l’élection présidentielle de 2022.
L’échec à la primaire de 2021
Une candidature surprise qui fait grincer quelques dents. « Michel revient comme le fils prodigue, mais la maison a changé », souffle un cacique du parti. Cette tentative montre un Barnier prendre des positions plutôt inattendues. Lui qui fut longtemps perçu comme le chantre de l’ouverture adopte un ton plus ferme sur l’immigration et la souveraineté. Un virage vers la droite dure qui déroute certains de ses soutiens historiques. « Je ne reconnais plus le Michel que j’ai connu », s’attriste un ancien collaborateur. Ce repositionnement soulève des questions sur l’évolution de sa pensée politique : adaptation tactique ou véritable changement de convictions ?
Michel Barnier échoue finalement à s’imposer face à Valérie Pécresse. Un échec qui ne semble pas entamer sa détermination. À 70 ans passés, l’ancien ministre refuse de raccrocher les crampons. « Tant qu’il y aura des montagnes à gravir, je serai là », affirme-t-il avec la sérénité des sages, convaincu que son profil fait de lui une figure à part dans le paysage politique français. Ni tout à fait un technocrate, ni vraiment un tribun, il incarne une forme de politique à l’ancienne, old school, et finalement très « ancien monde », où la compétence prime sur le buzz médiatique sans empêcher les coups de billards à plusieurs bandes…
La capacité de Michel Barnier à tisser des liens au-delà des clivages politiques traditionnels est en tout cas souvent citée comme l’une de ses grandes forces. « Michel a le don de mettre les gens à l’aise, même ses adversaires », note un journaliste habitué à le côtoyer. Cette qualité, rare en politique, explique en partie sa longévité sur la scène publique.