AFRICOM : la guerre invisible au cœur des rivalités sino-russes
Sous la chaleur écrasante de Djibouti, les moteurs des drones MQ-9 Reaper vrombissent doucement sur le tarmac du Camp Lemonnier. Dans cette base militaire américaine, la vigilance est de mise.
Chaque décollage marque une nouvelle mission : surveiller, frapper, et neutraliser des cibles affiliées à des groupes comme Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) ou Al-Shabaab.
Mais derrière cette guerre silencieuse se cache une bataille encore plus vaste, où s’entrelacent lutte antiterroriste, rivalités géopolitiques, et quête d’influence dans une Afrique en pleine mutation.
La menace invisible mais omniprésente
Dans les confins du Sahel et les étendues arides de la Corne de l’Afrique, les groupes terroristes tissent des réseaux transnationaux, défiant les frontières et les gouvernements.
Les États-Unis, par le biais de l’African Command (AFRICOM), concentrent leurs efforts pour empêcher la consolidation de sanctuaires qui pourraient devenir des plateformes pour des attaques internationales.
Au sol, des détachements spécialisés, comme les Green Berets ou les SEAL Teams, collaborent avec des forces locales dans des opérations de contre-insurrection. À partir de bases comme celle de Manda Bay, au Kenya, des missions de formation et des frappes chirurgicales se succèdent.
Dans les airs, les drones MQ-9 Reaper sillonnent sans relâche, offrant une surveillance en temps réel et la capacité de neutraliser des cibles à des milliers de kilomètres.
Ces outils technologiques confèrent un avantage tactique indéniable. Mais, comme le souligne un analyste militaire anonyme, "neutraliser une cible ne suffit pas si les causes profondes – pauvreté, instabilité politique, rivalités ethniques – restent intactes."
Construire pour mieux protéger
AFRICOM ne mène pas seulement des offensives. Sa mission inclut également la formation et l’équipement des forces locales. À travers des programmes tels que le Joint Combined Exchange Training (JCET), des milliers de soldats africains apprennent à utiliser des armes modernes, à coordonner leurs efforts, et à protéger leurs communautés.
Mais ce partenariat a ses limites. Dans de nombreux pays, les armées locales souffrent de corruption, de manque de moyens, et de tensions internes. Par ailleurs, la dépendance aux États-Unis pour des missions critiques soulève des questions : que se passera-t-il si AFRICOM réduit sa présence ou redirige ses priorités ailleurs ?
Une bataille sur plusieurs fronts
Avec seulement 6 000 militaires déployés sur tout le continent, AFRICOM manque de densité pour gérer plusieurs crises simultanément. La montée en puissance de groupes terroristes dans le Sahel coïncide avec l’intensification des opérations en Somalie, un véritable casse-tête logistique pour les forces américaines.
"Nous devons constamment faire des choix stratégiques", confie un responsable du Pentagone.
"Cela signifie parfois laisser des zones vulnérables, au risque de voir nos adversaires y prospérer."
Cette réalité opérationnelle devient encore plus complexe face à l’émergence de nouveaux adversaires. Car si les terroristes sont les ennemis immédiats, la Chine et la Russie s’imposent comme les rivaux stratégiques.
La guerre des influences
Pendant que les drones sillonnent les cieux africains, Pékin construit des ports, des routes, et des chemins de fer. À travers son initiative Belt and Road, la Chine investit massivement, séduisant de nombreux gouvernements africains avec des promesses de développement rapide.
Moscou, de son côté, joue une carte différente. À travers des groupes comme Wagner, elle propose des solutions sécuritaires musclées, souvent en échange de concessions minières ou pétrolières. Ces approches, bien que différentes, sapent l’influence américaine, notamment dans des régions clés comme l’Afrique de l’Ouest ou la Corne de l’Afrique.
"Les Africains veulent des partenaires qui respectent leur souveraineté", explique un diplomate ougandais. "Les États-Unis offrent des formations, mais la Chine livre des infrastructures tangibles. C’est une réalité que Washington doit comprendre."
Quel avenir pour AFRICOM ?
Alors que les menaces évoluent et que les rivalités s’intensifient, AFRICOM se trouve à un tournant. Les succès tactiques, bien que nombreux, ne suffisent plus. La lutte contre le terrorisme doit être intégrée à une vision stratégique plus large, qui prenne en compte les aspirations des pays africains et les rivalités avec Pékin et Moscou.
Dans cette équation complexe, la clé réside dans une approche équilibrée : renforcer les alliances locales, investir dans des solutions durables, et préserver une capacité d’intervention rapide. Car, comme le souligne un officier américain : "En Afrique, tout est connecté. Une victoire sur un champ de bataille peut être annulée par une perte d’influence ailleurs."
Alors que le soleil se couche sur le golfe de Guinée ou le détroit de Bab-el-Mandeb, les forces américaines continuent de scruter l’horizon. La mission reste la même : protéger, stabiliser, et préserver. Mais dans une Afrique en pleine mutation, chaque choix stratégique résonne comme un pari sur l’avenir.
Par Olivier d’Auzon