La Chute d’Assad : La Russie fragilisée en Afrique
Le 8 décembre 2024, le régime de Bachar el-Assad s’est effondré, entraînant un séisme géopolitique qui dépasse largement les frontières du Moyen-Orient.
En Afrique, où Moscou a consolidé ces dernières années une partie de son influence, cet événement provoque des remous majeurs.
Selon Tanguy Berthemet, spécialiste des questions africaines au Figaro, cette chute révèle "les limites de la stratégie russe en Afrique, fondée sur des alliances fragiles et des infrastructures stratégiques vulnérables".
Des bases syriennes cruciales pour Moscou
Depuis 2015, la Russie s’appuyait sur ses bases de Tartous et de Hmeimim en Syrie pour ses opérations militaires en Afrique. Ces installations jouaient un rôle clé dans le transport et le ravitaillement des contingents de Wagner et des forces spéciales russes déployées dans des zones sensibles comme le Mali, la Centrafrique ou encore le Burkina Faso.
"La perte de ces bases met en lumière l’une des failles logistiques majeures de la Russie", souligne Berthemet. "Ses avions gros porteurs n’ont pas l’autonomie nécessaire pour effectuer directement le trajet entre Moscou et l’Afrique. Sans une escale en Syrie, la continuité des opérations russes au Sahel et en Afrique centrale est sérieusement compromise."
Wagner : l’épine dorsale fragilisée
Dans des pays comme le Mali ou la Centrafrique, les mercenaires de Wagner assurent une part essentielle des capacités militaires locales. Cependant, l’inaction de la Russie face à la chute d’Assad, combinée à des revers récents, érode la confiance des régimes africains envers Moscou.
Au Mali, par exemple, une débâcle en juillet 2024 près de Tin Zouatine, où 60 mercenaires de Wagner et soldats maliens ont été tués par des rebelles, a alimenté les doutes. À Bangui, en Centrafrique, la présidence s'interroge sur la fiabilité de Wagner depuis la rébellion avortée d’Evgueni Prigojine en 2023.
Selon Berthemet, "la Russie avait réussi à s’imposer comme un partenaire militaire attractif grâce à son pragmatisme et son absence de conditionnalité politique. Si cette image se fissure, Moscou pourrait perdre une partie de son influence durement acquise."
Des alternatives limitées
Privée de ses bases syriennes, la Russie explore des options de redéploiement, mais celles-ci s’avèrent limitées.
La Libye : Bien que Moscou dispose d’alliés comme Khalifa Haftar en Cyrénaïque, le port de Benghazi n’offre pas les mêmes infrastructures que Tartous.
Le Soudan : Moscou négocie depuis 2019 l’établissement d’une base sur la mer Rouge. Mais selon des sources diplomatiques, le gouvernement soudanais serait réticent malgré les promesses russes, notamment la livraison de systèmes S-400.
Renforcement local : Développer des infrastructures directement en Afrique nécessiterait des investissements à long terme, difficiles à concilier avec les urgences opérationnelles actuelles.
Frustrations croissantes en Afrique
Les régimes militaires africains, qui voyaient en Moscou un allié fiable pour renforcer leur pouvoir, expriment désormais des doutes. "Les juntes de Bamako et de Ouagadougou, confrontées à des rébellions persistantes, s’inquiètent de voir le Kremlin incapable de soutenir un allié stratégique comme Assad", analyse Berthemet.
Cette situation risque de renforcer la méfiance à l’égard de Wagner, perçue comme un outil central mais vulnérable. Elle pourrait également inciter certains États, comme le Tchad, à diversifier leurs partenariats.
Une opportunité pour les rivaux
Face à cette fragilité, des acteurs comme la Chine, la Turquie ou même certains États occidentaux pourraient profiter de la situation pour regagner du terrain en Afrique. Selon Berthemet, "les États africains, séduits par les promesses de soutien russe, pourraient désormais examiner ces offres avec un œil plus critique."
Une influence sur le déclin ?
La chute de Bachar el-Assad constitue un test majeur pour la stratégie de Moscou en Afrique. "Si la Russie ne parvient pas à rassurer ses partenaires africains, elle risque de perdre son pouvoir d’attraction sur le continent", conclut Berthemet.
L’évolution de la situation au Tchad, qui a récemment demandé le départ des troupes françaises, sera particulièrement scrutée. Elle pourrait servir de baromètre pour évaluer l’impact durable de la crise syrienne sur l’influence russe en Afrique.