Nous aurions pu mieux résister si…
L’année 2021 débute avec une grosse question : quand et dans quelles conditions les Algériens seront vaccinés contre la pandémie de la Covid-19 ?
Alors que de très nombreux pays à travers le monde sont déjà entrés dans le vif du sujet en lançant leurs campagnes de vaccination, le dispositif médical, technique et administratif pour mener à bien cette opération tarde chez nous à se mettre en place.
Nous savons qu’une sérieuse option a été prise par les instances compétentes en faveur du vaccin russe, mais rien ne filtre encore sur les moyens qui seront mis en œuvre, ni sur le programme ou le calendrier des différentes phases pratiques à accomplir, ni sur le personnel et les structures qui seront sollicités pour les besoins de cette énorme entreprise qui exigera du temps, de l’organisation et de la compétence.
Faut-il se montrer inquiets, ou est-ce simplement de l’impatience devant ce qui s’apparente à une position d’observation nécessaire adoptée par le comité scientifique national chargé de la gestion de la pandémie ? Interrogé à ce sujet, un professeur en cardiologie nous a avoué que malgré l’attente angoissante fort compréhensible des Algériens, il n’y a rien d’alarmant dans la posture algérienne concernant le problème de vaccination.
Au contraire, dit-il, cette phase de concertation nous permet de mieux voir ce qui se fait ailleurs et de prendre, par conséquent, avec un certain recul, les dispositions les plus intelligentes pour réussir le défi de la vaccination à grande échelle. Selon lui, donc, rien ne sert de paniquer ni de verser dans le pessimisme alors que les dégâts causés par le virus en Algérie ne sont en rien comparables à ceux relevés en Europe ou aux Etats-Unis où le nombre de contaminations et de décès enregistrés à ce jour est dramatiquement élevé.
Devant la réalité froide des statistiques, il faut ainsi savoir relativiser les appréhensions des uns et des autres, bien que l’attente oppressante de pouvoir enfin subir comme une fatale délivrance l’injection du précieux sérum, synonyme d’ouverture d’une ère plus apaisante, provoque en elle-même chez les individus une sérieuse déstabilisation psychologique. Nous sommes nombreux à être dans cet état d’esprit en franchissant d’un pas hésitant avec énormément de préjugés la ligne de la nouvelle année.
C’est dire qu’à l’image de toutes les populations de la planète atteintes par cet ennemi invisible qui a fait des ravages partout où il est passé, semant la mort et la désolation, ruinant les économies les plus solides et les plus performantes, désintégrant des sociétés entières, les Algériens ont eu leur lot de misère et de désespoir. 2020 est citée par tous comme étant l’année la plus terrible que nous ayons eu à subir dans le registre des «catastrophes naturelles». L’Algérie, dans cette optique, a compté elle aussi ses morts et géré dans l’urgence ses souffrances.
Elle a vécu dans la douleur ses privations et ses frustrations. Déjà ébranlé par ses problèmes politiques internes qui mettent la société dans un état de perpétuelle instabilité, et par les grincements de sa machine économique qui n’arrive pas à trouver son équilibre pour garantir un développement social harmonieux, le pays a du mal à se relever de cette malédiction. Un virus qui, par ailleurs, a complètement chamboulé notre mode de vie, nos habitudes, désarticulé notre économie déjà sur les jantes, et enfoncé encore plus dramatiquement le semblant d’activité politique qui existait. Triste tableau sur lequel les instances ne tiennent pas trop à insister au risque de soulever le couvercle de leurs défaillances.
Et pourtant, l’année qui s’en va en ne laissant aucun regret a été celle de la déperdition économique et sociale à travers la mise à l’arrêt forcé d’un nombre incalculable de petites et moyennes entreprises activant dans pratiquement tous les secteurs d’activité (agriculture, industrie, services, tourisme…), un cataclysme économique qui a fait grimper de manière spectaculaire la courbe du chômage dans une société où avoir un emploi relevait déjà presque de l’exploit. C’est la jeunesse accédant fraîchement au marché du travail qui se trouve la plus pénalisée par cette dégradation économique sur laquelle les dirigeants politiques actuels ne semblent avoir aucune prise.
En tous cas, pas beaucoup d’opportunités d’intervenir pour arrêter l’hémorragie avec un prix du baril du pétrole très fluctuant et des réserves de change qui rétrécissent comme peau de chagrin. La solution, disent les experts avertis, est avant tout politique, mais quelle politique ? Le hirak, lui aussi, grande victime de la Covid-19 qui l’a obligé à penser à la santé des citoyens en abandonnant ses marches hebdomadaires, a préconisé la seconde voie, mais le pouvoir n’a pas voulu l’écouter. Entre la raison et le risque de naufrage, le choix est fait.
D’où cette autre grosse question qui traverse la société à l’orée de la nouvelle année : le hirak béni serait-il prêt à réinvestir la scène politique pour sauver la maison Algérie de l’enlisement ? De nombreux indices l’attestent, comme le travail colossal de structuration qui est en train de se réaliser au sein de la diaspora algérienne à l’étranger. Le mouvement populaire, dit-on, se prépare pour revenir plus engagé, plus affiné et fidèle à son pacifisme. Lui aussi a toutes les raisons d’oublier au plus vite l’année qui s’achève et qui a joué contre lui.
A. MERAD