Paris, sans boussole ? Les répercussions d’un retrait militaire historique en Afrique
Le 31 décembre 2024 est assurément une date fatidique dans l’histoire des relations franco-africaines.
Ce jour-là, Bassirou Diomaye Faye, président du Sénégal, annonce la fermeture de toutes les bases militaires étrangères dans son pays, effective dès 2025.
Quelques heures plus tard, son homologue ivoirien annonce la rétrocession de la base militaire d’Abidjan à son armée nationale.
Ces décisions ne tombent pas du ciel : elles suivent les départs successifs de la France du Tchad, du Mali, du Niger et du Burkina Faso.
Pour Thierry Vircoulon, expert de l’Afrique centrale et australe, cette page qui se tourne dans l’histoire militaire française en Afrique pourrait marquer une transformation profonde et irréversible, commente-t-il pour the Conversation , le 15 janvier 2025
Les bases françaises : des bastions délaissés
Depuis 1960, les bases militaires françaises étaient bien plus que des avant-postes : elles constituaient le cœur battant de la politique sécuritaire post-coloniale. Initialement conçues pour protéger des régimes fragiles au lendemain des indépendances, elles ont ensuite permis à Paris de projeter sa force dans des opérations extérieures, telles que Licorne en Côte d’Ivoire ou Barkhane dans le Sahel.
Cependant, cette époque touche à sa fin. En 1970, l’armée française comptait 20 000 soldats en Afrique. En 2022, ils n’étaient plus que 6 000. Et demain ? Rien, ou presque.
« Ces bases symbolisent un pacte dépassé », explique Thierry Vircoulon. Elles sont aujourd’hui perçues comme un reliquat néocolonial par les populations et les gouvernements africains. Mais la critique ne vient pas uniquement d’Afrique : à Paris, l’intérêt stratégique de ces implantations est de plus en plus contesté. Les menaces pesant sur la France – qu’elles viennent de l’Est européen ou du Moyen-Orient – rendent l’Afrique secondaire.
Une influence en chute libre
L’abandon des bases ne se limite pas à une simple réorganisation militaire. C’est tout un pan de l’influence politique et diplomatique française qui s’érode. Les opérations extérieures permettaient à la France d’intervenir dans les conflits africains et d’y jouer un rôle clé, mêlant action militaire et diplomatie.
« Les gouvernements africains choisissent désormais leurs alliances »
« Les gouvernements africains choisissent désormais leurs alliances », constate Thierry Vircoulon. En décidant de fermer les bases, ce sont eux, et non Paris, qui dictent les termes du partenariat.
Le retrait militaire est aussi une porte ouverte pour d’autres acteurs.
Les États-Unis, la Russie, la Chine ou encore la Turquie sont désormais prêts à combler le vide laissé par Paris. Lors du putsch au Niger en 2023, Washington a tenté de se rapprocher de la junte, une approche bien plus souple que la ligne dure française. Résultat : une marginalisation progressive de la France, non seulement en Afrique, mais aussi sur la scène internationale.
La fin d’un rôle historique
Depuis des décennies, la France jouait le rôle de « gendarme de l’Afrique ». Cinquante-deux interventions militaires en cinquante ans avaient cimenté cette position. Mais cette ère est désormais révolue.
À Bruxelles, Washington et New York, les conséquences sont palpables. La France perd son leadership dans la rédaction des résolutions africaines au Conseil de sécurité et son influence au sein des institutions européennes.
Faut-il s’attendre à un impact majeur sur les intérêts économiques français ?
Pour autant, faut-il s’attendre à un impact majeur sur les intérêts économiques français? Thierry Vircoulon est catégorique : « Pas vraiment. » En 2023, l’Afrique ne représentait que 1,9 % du commerce extérieur français. Les minerais stratégiques et hydrocarbures africains ne pèsent plus que 15 % et 11,6 % des approvisionnements hexagonaux.
De surcroît, les principaux partenaires économiques – le Nigeria et l’Afrique du Sud – ne sont pas des pays où la France maintenait des bases militaires. La corrélation entre présence militaire et intérêts économiques s’est largement effritée.
Le départ des bases marque donc un tournant. Pour la France, il s’agit de reconnaître que son influence militaire ne garantit plus ni son poids diplomatique, ni ses intérêts économiques.
En Afrique, ce retrait ouvre la voie à de nouvelles configurations géopolitique
En Afrique, ce retrait ouvre la voie à de nouvelles configurations géopolitiques, où l’Europe et l’Occident devront rivaliser avec des puissances émergentes sur un terrain autrefois dominé par Paris.
Et dans ce jeu complexe, où la mémoire coloniale se mêle aux aspirations de souveraineté, une page se tourne – mais l’histoire, elle, continue.
Par Olivier d’Auzon