Du Soudan à la Libye : le Tchad pris dans la tourmente régionale
Début 2025, le Tchad s’impose comme l’un des théâtres géopolitiques les plus agités d’Afrique.
La rupture des accords de défense avec la France fin décembre 2024 a marqué un tournant symbolique et stratégique, affirmant une souveraineté nationale longtemps perçue comme sous influence étrangère.
Mais cette indépendance retrouvée s’accompagne d’une multitude de défis sécuritaires, chaque région du pays semblant porter son lot de tensions.
Au nord, l’ombre de Wagner et les cicatrices du passé
Dans le nord, la Libye voisine, toujours en proie à ses conflits internes, devient un point de fixation pour la Russie. Le groupe Wagner, après avoir quitté la Syrie, s’installe solidement sur la base d’Al-Khadim, étendant ses activités logistiques vers d’autres territoires africains.
Cette présence renforce les inquiétudes à N’Djamena, d’autant que la frontière nord a déjà été le théâtre de troubles graves.
En 2021, les rebelles tchadiens avaient tenté de renverser le régime, coûtant la vie au Maréchal Idriss Déby lors d’une bataille mémorable dans le Kanem.
Non loin de là, dans la région montagneuse du Tibesti, les orpaillages illégaux continuent d’alimenter des tensions explosives. Les habitants, confrontés à des incursions répétées de l’armée tchadienne (ANT), accusent l’État d’imposer sa présence de manière brutale. Entre les revendications locales et les impératifs nationaux de contrôle, l’équilibre reste précaire.
Trafic et terreur : un ouest sous pression
Sur la frontière nord-ouest, la passe de Korizo s’est transformée en carrefour de tous les trafics : armes, drogues, migrants. Ce corridor clandestin, vital pour les réseaux criminels, reste largement hors de portée des autorités.
Plus au sud-ouest, autour du lac Tchad, un autre type de menace sévit : Boko Haram. Le groupe terroriste, actif dans cette région transfrontalière depuis des années, multiplie les attaques sanglantes. Toutefois, l’opération militaire « Haskanite », récemment déclenchée par l’ANT, a porté un coup dur aux insurgés.
Les autorités tchadiennes revendiquent la neutralisation de plusieurs dizaines de combattants. Mais la victoire, bien que significative, reste fragile dans cette zone marécageuse, difficile à sécuriser durablement.
Le Sud et l’Est : des fronts humanitaires et politiques
Au sud, les tensions interethniques s’intensifient tandis que les relations avec la République centrafricaine (RCA) continuent de se dégrader. La présence des rebelles de la CPC, pourchassés par la milice Wagner, complique davantage une frontière déjà instable. Les incursions répétées alimentent méfiance et hostilité entre les deux pays.
À l’est, c’est une autre crise qui prend de l’ampleur. Le conflit au Soudan a poussé des milliers de réfugiés à chercher asile au Tchad, gonflant des camps déjà saturés. Cette pression humanitaire menace non seulement les ressources locales, mais risque aussi de créer des tensions sociales internes.
Un pays à la croisée des chemins
Malgré ce tableau sombre, le Tchad possède une arme cruciale : son armée. L’ANT, forte de son expérience et de sa robustesse, joue un rôle clé dans la préservation de la stabilité. Mais elle ne peut tout faire seule. Modernisation, alliances stratégiques et renforcement des institutions seront nécessaires pour répondre aux menaces croissantes.
Le Tchad est plus qu’un simple pays du Sahel : c’est un carrefour géopolitique, au centre des enjeux africains. Ce rôle le condamne à relever des défis gigantesques, mais aussi à jouer un rôle de stabilisateur régional. 2025 pourrait bien être l’année où le Tchad, en affirmant sa souveraineté, redéfinit son avenir et son rôle sur la scène internationale. Une bataille, cette fois, non sur le terrain militaire, mais sur celui de la résilience et de la diplomatie.
Olivier d’Auzon