La diplomatie française en crise : Les défis de sa relation avec l'Afrique
Les récentes déclarations d'Emmanuel Macron lors de la Conférence des ambassadeurs à l’Élysée, du 6 janvier 2024, ont ravivé des tensions anciennes et profondes dans les relations entre la France et certains pays africains.
Ces propos ont été perçus par de nombreux dirigeants africains comme une manifestation d'arrogance et d'une vision néocolonialiste persistante de la part de la France, malgré des décennies d’indépendance et de relations internationales plus équilibrées.
Une lecture de l’histoire coloniale mal intégrée
Dans son discours, Emmanuel Macron a suggéré que sans l’intervention militaire française, de nombreux pays africains, notamment ceux du Sahel, auraient perdu leur souveraineté.
Cette affirmation, qui repose sur une hypothèse discutable, a provoqué une réaction immédiate, notamment de la part du Sénégal et du Tchad, deux pays qui ont historiquement entretenu des relations privilégiées avec la France.
Emmanuel Macron, en évoquant l’ingratitude des dirigeants africains à l'égard de l'aide militaire française, a ignoré l'impact psychologique et historique de la colonisation sur ces nations. Le discours qui se présente comme celui du « sauveur » se heurte à une mémoire collective douloureuse, alimentée par des siècles de domination et d'exploitation coloniale.
L’ancien ambassadeur français au Mali et au Sénégal, Nicolas Normand, souligne l’aspect « extrêmement maladroit » de ces propos. Selon lui, il est crucial de ne pas omettre l'histoire complexe de la coopération militaire, en particulier les sacrifices de soldats africains comme les tirailleurs sénégalais, dont le rôle a été largement ignoré dans le récit officiel français.
En se positionnant de manière aussi catégorique, Emmanuel Macron semble ignorer la nécessité d’une approche plus nuancée, tenant compte des mémoires conflictuelles qui marquent les relations entre la France et ses anciennes colonies. Cette vision peut être perçue comme une forme de « paternalisme » qui fait abstraction des souverainetés acquises et des trajectoires indépendantes de ces nations.
La question de la souveraineté et de la diplomatie africaine
Les propos d’Emmanuel Macron, qui affirment que certains pays ne seraient plus souverains sans l’aide militaire française, sont perçus par certains dirigeants comme une remise en cause de la souveraineté nationale.
Dans le cas du Tchad, où la France a joué un rôle de soutien crucial dans la défense du pouvoir en place, la réaction de Mahamat Idriss Déby peut être interprétée comme une volonté de se réapproprier une narrative nationale.
Le président tchadien semble utiliser ce discours pour renforcer son image face à une opinion publique de plus en plus anti-française.
Ce retournement est d’autant plus significatif qu’il survient après le rôle décisif que la France a joué dans la stabilisation du Tchad, un rôle dont Mahamat Idriss Déby et son père, Idriss Déby, ont longtemps bénéficié.
Au Sénégal, la situation est différente. L’absence de négociations sur la réduction de la présence militaire française, comme l’a souligné Ousmane Sonko, est au cœur de la controverse.
Bien que la France ait tenté de mettre en place une relation plus équilibrée avec les pays africains en réorganisant sa présence militaire, le manque de dialogue avec des pays comme le Sénégal a alimenté la frustration.
Ousmane Sonko, leader populiste et opposant au gouvernement actuel, a pris cette occasion pour amplifier son discours nationaliste et anti-français. Il a également rappelé l’importance du rôle historique joué par les soldats africains dans les guerres mondiales, un point qui demeure insuffisamment abordé par la France.
Cette absence de reconnaissance dans le discours mémoriel français nourrit une perception de négligence et d’injustice, alimentant un sentiment de colère et de défiance envers la France.
Une diplomatie française en crise
Les tensions croissantes avec le Tchad et le Sénégal illustrent un problème plus large dans la politique étrangère de la France en Afrique. L’intervention militaire française, malgré son objectif initial de lutter contre le terrorisme et de maintenir la stabilité dans la région du Sahel, n’a pas eu les résultats escomptés.
Au contraire, la situation sécuritaire a empiré, exacerbant l’instabilité et la radicalisation, tout en suscitant des critiques sur l’efficience et la pertinence des interventions françaises. Les opérations Serval (2013-2014) et Barkhane (2014-2022), qui étaient censées stabiliser le Sahel, n’ont pas permis de résoudre les problèmes structurels de la région, à savoir la faiblesse des États africains, le manque d'infrastructures et l’absence de solutions durables à la question du djihadisme.
Les présidents français successifs, Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, ont dénoncé la Françafrique, une relation caractérisée par des réseaux opaques et des pratiques de tutelle.
Cependant, ils n’ont pas compris que cette perception de néocolonialisme, perçue comme un héritage de la colonisation, reste profondément ancrée dans l’imaginaire africain. Cette dynamique a eu des conséquences négatives sur l'image de la France, et les récents échecs de sa politique militaire en Afrique ont aggravé cette perception.
L'ancienne stratégie de domination par la force et par des accords discrets entre élites politiques n’est plus viable. Il devient essentiel pour la France de réinventer sa diplomatie en Afrique en mettant l’accent sur la coopération réelle, le respect de la souveraineté des États africains et la prise en compte des problématiques locales.
Cette approche, cependant, nécessite une réévaluation en profondeur des politiques, en particulier en ce qui concerne la gestion des crises et le soutien au développement structurel des pays africains.
Vers une diplomatie renouvelée ou une nouvelle dérive ?
La volonté de Macron de repositionner la France en Afrique, comme un acteur qui perçoit le continent comme un « terrain d’opportunités », apparaît belle et bien comme une tentative de redéfinir les relations économiques.
L'accord signé avec le Maroc, portant sur 10 milliards d'euros d'investissements, est un exemple de cette stratégie. Cependant, cette approche, qui repose davantage sur les investissements économiques et les partenariats stratégiques, ne saurait occulter les profondes fractures qui demeurent dans les relations avec l'Afrique francophone.
Il est essentiel que la France développe une approche plus inclusive et respectueuse, prenant en compte les aspirations des populations africaines et la diversité des contextes nationaux. Au lieu de se contenter de discours de réorganisation militaire ou de partenariats économiques, la France doit s’engager dans un dialogue sincère et constructif, rétablir des relations équilibrées et, surtout, assumer ses responsabilités historiques.
En outre, la France devra repenser sa relation avec l’Afrique dans un cadre multilatéral, où le soutien au développement, la sécurité collective et le respect des souverainetés nationales devront primer sur toute autre considération.
Le défi pour la France est de sortir du carcan de la Françafrique et de bâtir des relations basées sur le respect mutuel et l’égalité, afin de trouver une place digne dans un continent en pleine mutation.
Olivier d’Auzon