20 ans après l’intervention américaine en Irak : Colin Powell, l’homme à l’héritage controversé…
Le général américain 4 étoiles à la retraite, Colin Powell, ancien conseiller à la sécurité de la Maison-Blanche et ancien secrétaire d’État, est décédé en octobre 2021 à l’âge de 84.
Alors que le 20 mars prochain sera la date du triste anniversaire des vingt ans de l’intervention américaine en Irak, pour les observateurs de la région, notamment à cause de son célèbre discours à l’ONU du 5 février 2003, Powell reste l’un des responsables américains ayant laissé un héritage sanglant au Moyen-Orient…
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021) et Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)
Jeune soldat durant la guerre du Vietnam, c’est avec cette douloureuse expérience que l’officier Powell va plus tard développer la « doctrine Powell ». Celle-ci se résume par une série de questions dont les réponses doivent être affirmatives avant de lancer la puissance militaire américaine dans un conflit : « Des intérêts vitaux sont-ils en jeu ? Des objectifs atteignables ont-ils été définis ? Les risques et coûts ont-ils été objectivement analysés ? Toutes les autres options non-violentes ont-elles été épuisées ? Existe-t-il une stratégie de sortie permettant d'éviter un embourbement ? Les conséquences d'une intervention ont-elles été évaluées ? Le peuple américain soutient-il cette action ? Avons-nous un réel soutien de la communauté internationale ? »
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Avec le recul du temps, on peut émettre diverses questions sur cette doctrine, puisque Powell aura été au sein de l’armée et du gouvernement américain, l’un des artisans de toutes les opérations majeures des États-Unis notamment au Moyen-Orient au début des années 2000.
Avant cela, l’enfant d’origine afro-caribéenne, né et élevé dans une famille d’immigrants jamaïcains dans le Bronx à New-York, gravit les échelons de l’armée américaine après avoir rejoint l’institution en 1958.
En 1986, il est l’assistant du secrétaire d’État à la Défense Caspar Weinberger, et contribue alors à coordonner des frappes aériennes en Libye en représailles à un attentat à la bombe dans une discothèque de Berlin-Ouest qui a fait trois morts, dont deux soldats américains. Washington accusant le dirigeant libyen Kadhafi d’être l’instigateur de cette attaque.
En tant que chef d’état-major des armées, Powell supervise l’intervention américaine du Panama de décembre 1989 à janvier 1990 et surtout l’opération Bouclier du désert, première phase de la guerre du Golfe et de la longue présence américaine dans la région et tournant majeur dans l’histoire moderne de l’Irak et de la zone.
Après avoir occupé le Koweït en 1990, Saddam Hussein menace l’Arabie saoudite. Les Américains lancent alors une coalition internationale contre Bagdad et massent des troupes dans le royaume du Golfe. La victoire de la nouvelle « hyperpuissance » est totale mais le président Bush père, réaliste, refuse de poursuivre jusqu’à Bagdad pour renverser le dirigeant irakien…
En attendant, la popularité de Powell est à son comble et devient un véritable modèle pour de nombreux afro-américains. Certains à l’époque évoquent même une possible candidature à la présidence américaine.
Par la suite, il devient le premier Afro-Américain à devenir chef d’état-major des armées, sous la présidence de George W. Bush. Et c’est douze ans plus tard, après son triomphe largement partagé avec le général Schwarzkopf – qui avait dirigé les forces de la coalition pendant la guerre du Golfe en 1991 – et dans le contexte de l’après-11 septembre, que la brillante carrière de Powell va connaître son moment le plus marquant.
Powell, l’affabulateur
Au début du mandat de Georges W. Bush et surtout après le 11 septembre, les néoconservateurs vont prendre le contrôle total de la politique étrangère américaine. Dans l’entourage du président, de par son expérience de soldat, ses propres renseignements et fort de sa doctrine, Powell est un des rares réalistes modérés à rejeter l’idée d’une intervention en Irak, présenté à tort comme un des États voyous, responsables indirects des spectaculaires attentats de New York.
Dans un premier temps, il s’oppose aux va-t-en-guerre que sont alors le Secrétaire à la Défense, Donald Rumsfeld, le président du comité des conseillers du Pentagone, Richard Perle, la conseillère à la sécurité nationale, Condoleezza Rice ou encore le secrétaire adjoint de la Défense, Paul Wolfowitz…
Or, Collin Powell est la caution morale de cette administration. Ainsi, le premier Secrétaire d’État noir américain va pourtant se laisser convaincre voire manipuler pour devenir un élément incontournable de la stratégie guerrière du vice-président Dick Cheney, le véritable maître du jeu.
Quoi qu’il en soit, le 5 février 2003, dans un discours, devenu tragiquement célèbre depuis, Powell défend donc la guerre américaine contre Bagdad au Conseil de sécurité de l’ONU. Il cite ainsi de fausses informations – confirmées comme telles par la suite –, affirmant que Saddam Hussein a caché des armes de destruction massive. L’image montrant le secrétaire d’État américain brandissant une fiole susceptible selon lui de contenir de l’anthrax restera dans les mémoires.
En acceptant de se prêter à la manipulation de quelques apprentis sorciers trop influents, à certains lobbies financiers et à la CIA, Powell est l’un des principaux responsables de la guerre en Irak de 2003 et d’une occupation du pays qui durent près d’une décennie dans un contexte de guerre civile, conduisant à la mort de près de 200 000 civils irakiens ainsi qu’aux tragiques conséquences géopolitiques – notamment de l’essor de Daesh qui s’emparera d’une partie de l’Irak et de la Syrie voisine – que l’on sait pour toute la région et le monde.
En 2005, sur ABC News, il fera part de son « amertume », de ses regrets et qualifie ce discours de l’ONU de « tâche » dans ses états de service : « C’est une tache parce que je suis celui qui a fait cette présentation au nom des États-Unis devant le monde, et cela fera toujours partie de mon bilan ». Il estime alors qu’il s’agissait d’un « énorme échec des renseignements ».
En 2011, il demandera d’ailleurs à la CIA et au Pentagone des explications sur les fausses informations qui lui avaient été communiquées en 2003…
Plus tard, il confie encore au New York Times en juillet 2020 : « Je savais que je n’avais pas le choix ». « Quel choix avais-je ? C’est le président », ajoute-t-il en référence à l’ancien président George W. Bush qui lui a demandé de parler devant l’ONU.
On ne sait toujours pas exactement la raison profonde qui a poussé Powell à changer d’avis sur la guerre d’Irak – sûrement à contrecœur. Loyauté aveugle à Bush, trop fortes pressions… Seuls peut-être les historiens du futur répondront à cette question.
En attendant, sa prestation mensongère devant le monde et surtout ses répercussions catastrophiques ont irrémédiablement terni sa réputation, son héritage et son rôle dans l’Histoire...