Vers la fin du pré carré français en Afrique ? (PARTIE 1)
La semaine dernière le Président français a effectué une tournée en Afrique de cinq jours.
Alors que la France est de plus en plus rejetée de son ancien pré carré africain, cette visite était présentée comme une opération de « reconquête » et de séduction de la part d’Emmanuel Macron. Au-delà d’une énième opération de com’, des sempiternels éléments de langage et des beaux discours, c’est peut-être déjà trop tard…
Il est d’abord à noter que la tournée présidentielle d’Emmanuel Macron au Gabon, en Angola, au Congo et en République démocratique du Congo (le Gabon étant le seul pays de cette liste faisant partie de l’historique zone d’influence directe de Paris, avec une base militaire française) n’a pas suscité l’enthousiasme des foules comme pouvaient le faire les visites de ses prédécesseurs : même à Libreville, la capitale gabonaise, il n’y avait aucun drapeau tricolore sur la route du palais présidentielle et encore moins de foule en liesse pour accueillir le président français. « O tempora, o mores » !
Au Gabon, le président français, participait avec plusieurs chefs d'États d'Afrique centrale à un sommet consacré à la protection des forêts tropicales, au commencement d'une tournée de quatre jours dans la région. Ce sommet, baptisé One Forest Summit, et co-organisé par les deux pays, était destiné à trouver des « solutions concrètes » pour la conservation des forêts, la protection du climat et des espèces dans un contexte de dérèglement climatique. Par la suite, Emmanuel Macron s’est rendu en Angola, au Congo et en République démocratique du Congo.
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Il est le rédacteur en chef du Dialogue. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021) et Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)
Ce déplacement africain (le 18e sur le continent) du président français nous a été « vendu » par l’Élysée et les médias officiels comme un voyage en forme d’offensive diplomatique, voire d’opération de séduction et de reconquête, ayant pour objectif d’ouvrir une nouvelle ère dans les relations entre la France et l’Afrique où, nous l’observons tous les jours, le ressentiment antifrançais ne cesse de se développer et où il est urgent d’enrayer la très nette perte d’influence française.
Or, même si le Quai d’Orsay, grand adepte de la méthode Coué, nous présentera cette initiative comme un grand succès, nous pouvons déjà dire qu’il n’en sera rien et qu’il est déjà trop tard.
Certes, cette visite a été placée sous le sens de l’« humilité ».
Mais au-delà des annonces (transformation des bases françaises -au Gabon- en académie, nouveaux partenariats, diminution des effectifs militaires, restitution à la demande, régie par une loi-cadre, des œuvres d'art africain conservées dans nos musées etc…) et l’habituelle opération de com’ ainsi que les sempiternels belles paroles et beaux discours doucereux voire lénifiants et toujours infantilisants (et encore peut-être quelques chèques !), il n’y a aucune vision, ni de stratégie sérieuse concrète, ambitieuse et à long terme qui est pensée et qui ne sera encore moins engagée.
Alors qu’à cause d’une politique désastreuse depuis une décennie, la France est à présent littéralement hors-jeu en Méditerranée et au Moyen-Orient (en froid avec le Maroc, ridiculisée par l’Algérie, inaudible au Liban, exclue de tous les grands dossiers importants du moment, Libye, Syrie, conflit israélo-palestinien…), il est consternant aussi de réaliser que la France ne compte plus et est bel et bien en train de perdre pied en Afrique. Et ce n’est malheureusement que le début !
La Chine et la Russie ont bon dos…
Dans un de ses discours, Emmanuel Macron a déclaré que « La France n'a plus de pré carré en Afrique ». Faut-il s’en réjouir ?
Pourtant, la Chine et la Russie (comme la Turquie et l’Égypte d’ailleurs) sont, elles, sur le point de consolider les leurs sur ce continent !
Lors de la reculade humiliante de la France au Mali, littéralement mise dehors par la junte des factieux qui sont au pouvoir à Bamako et alors que le Président Macron s’est exécuté, en décidant le 17 février dernier d’évacuer nos soldats du Mali et de mettre fin à l’opération Barkhane, beaucoup ont évoqué le rôle hostile de la Russie envers les français dans cette affaire.
Certes, les Russes ne sont pas étrangers à ce rebondissement historique mais le sentiment anti-français actuel en Afrique ne repose pas uniquement sur la propagande russe.
D’abord, comme l’avait si justement noté l’ancien député français, Jacques Myard, « la France pendant des décennies a formé des officiers africains ; or sous prétexte de difficultés budgétaires, elle a diminué son action de formation des élèves officiers : la ligne budgétaire de cette coopération de formation inscrite à la loi de finances 2022 est faible, 12,14 millions d’euros, et n’est d’ailleurs pas uniquement destinée à la formation d’élèves officiers.
Dans le même temps, depuis 2015, la Russie a signé en Afrique 21 accords de coopération militaire, sans commentaire… Mieux encore, l’accueil de nombreux élèves officiers pour des formations en Russie s’est développé fortement. C’est ainsi que le fameux chef de la junte de Bamako, le colonel Assimi Goita, a été formé pour partie par les Russes ; mais surtout le coup d’état réussi des colonels en août 2020 contre Ibrahim Boubacar Keita (IBK) président du Mali a visiblement été préparé à Moscou, où plusieurs des colonels au pouvoir aujourd’hui à Bamako effectuaient un stage de formation, CQFD ! ».
De même, en se soumettant toujours un peu plus, depuis dix ans, à la politique des États-Unis, de l’Union européenne et de l’OTAN, notamment à propos de l’Ukraine, les responsables français successifs ont littéralement saboté la diplomatie de la France !
Or comme le dit si bien Regis Debray :
« c'est quand la France a risqué d'être seule qu'elle a été entendue par tout le monde ». Et effectivement, l’histoire nous l’a appris depuis longtemps : c’est lorsque la France est rebelle et insolente qu’elle est respectée et écoutée dans le concert des nations !
Au final, par cette atlantisme aveugle et suicidaire, et contre nos propres intérêts, Paris s’est elle-même créée (comme si elle en avait besoin !) un nouvel adversaire voire un véritable ennemi en la personne de Vladimir Poutine. Un président russe qui ne voulait pas jouer ce rôle envers nous, et pas uniquement pour nos beaux yeux mais parce que ses propres objectifs éminemment réalistes, géostratégiques le lui commandaient et que nous avions pourtant en communs…