Afghanistan : l’histoire et la géopolitique pour comprendre (2ème Partie)
Dans une première partie , Roland Lombardi a évoqué les raisons de l’invasion de l’Afghanistan par les soviétiques en 1979. Dans ce second volet, il traite des conséquences de l’implication américaine dans ce conflit, qui résonnent encore aujourd’hui…
- Afghanistan : l’histoire et la géopolitique pour comprendre (1ère Partie)
- Afghanistan : deux morts lors d'un attentat dans un quartier de Kaboul
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021) et Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)
Et les États-Unis entrent dans la danse…
Dès juillet 1979, le président américain, Jimmy Carter signe la première directive pour soutenir les rebelles contre le pouvoir communiste de Kaboul.
Avec l’intervention militaire russe, certains responsables américains (comme le député démocrate Charlie Wilson) vont entrevoir l’opportunité de stopper l’expansionnisme soviétique réactivé à partir de 1975 en faisant notamment de l’Afghanistan un nouveau Vietnam pour les Russes.
Cette idée sera reprise à son compte par l’administration Reagan. La stratégie voulant faire de la guerre russo-afghane un bourbier psychologique, militaire mais également financier ne peut que satisfaire le président américain nouvellement élu. Lui qui relancera en 1983 la course aux armements avec notamment le bluff du Strategic Defense Initiative (la « guerre des Étoiles ») dans le seul but (et ce sera un succès) d’épuiser les budgets et ruiner l’économie soviétiques, précipitant ainsi la désagrégation de l’URSS, déjà bien avancée.
En Afghanistan, d’abord armée par la Chine – « alliée » des États-Unis depuis Nixon – la résistance afghane est également soutenue par les services secret pakistanais (autres alliés des Chinois – contre l’Inde – et des Américains).
Ainsi, la CIA organise, dès 1980, avec l’aide d’Israël et de l’Égypte (grâce à leurs stocks d’armes soviétiques) l’acheminement, via l’ISI du Pakistan qui sert de base arrière, du matériel non compromettant destiné aux « Combattants de la Liberté ». Dans le même temps, Américains et Pakistanais mettent en place une « Alliance islamique » internationale, financée notamment par les États-Unis et surtout l’Arabie saoudite (1/4 pour les USA et le reste pour Riyad et les États du Golfe).
De jeunes islamistes des Frères musulmans un peu trop turbulents au Maghreb, dans la péninsule arabique ou en Égypte, sont alors également envoyés en Afghanistan combattre le mécréant soviétique.
Les Américains fournissent aux moudjahidines le lance-missile antichar Milan (arme franco-allemande) et surtout, à partir de 1986, le missile antiaérien Stinger. Ce dernier sera terriblement efficace contre les hélicoptères russes. Pour certains experts, c’est un tournant majeur. Pour d’autres, il faut relativiser l’« effet Stinger » dans le nouveau déséquilibre des forces et le début du retournement du conflit en faveur des moudjahidines. Il n’en reste pas moins que du côté russe, 452 aéronefs soviétiques seront notamment abattus parmi lesquels plus de 334 hélicoptères.
Pendant dix ans, les États-Unis auraient dépensé un budget total et progressif estimé entre 3 et 15 milliards de dollars (avec un budget annuel de 20 à 30 millions de dollars en 1980 pour finir à 630 millions de dollars en 1987). Alors que pour l’Union soviétique, le coût financier de la guerre aurait été de plus de 30 milliards de dollars au total.
En 1987, Mohammad Najibullah vient au pouvoir. Le nouveau président souhaite une « réconciliation nationale » avec les rebelles modérés. Exsangue économiquement et confrontée à des problèmes internationaux globaux, l’Union soviétique, dirigée depuis 1985 par Mikhaïl Gorbatchev, désire se désengager du bourbier afghan. La population russe est de plus en plus en colère devant le retour des cercueils. En 1988, s’appuyant sur une nouvelle trêve signée avec Massoud, le nouveau maître du Kremlin décide le retrait des troupes.
L’URSS force le Pakistan à signer les Accords de Genève (14 avril 1988) avec l’Afghanistan. Islamabad promet de ne plus s’ingérer dans les affaires afghanes.
Washington et Moscou se portent garants de l’application de ces accords. Le retrait des troupes soviétiques commence le 15 mai 1988 et en octobre, les États-Unis interrompent leurs livraisons d’armes. Le 15 février 1989, le général Boris Gromov passe à pied le pont de « l'Amitié » sur l'Amou Daria. Derrière un convoi de 450 véhicules et 1 400 hommes, il est le dernier soldat russe à quitter le pays.
De toute évidence, à la différence notoire de la fuite humiliante des derniers Américains de Saïgon en 1975 ou encore de la calamiteuse retraite des troupes américaines ces derniers jours à Kaboul, les Soviétiques ont su quant à eux gérer leur repli, tant sur le plan médiatique que militaire.
Des conséquences funestes pour l’Afghanistan et l’Occident…
Au final, 620 000 soldats russes ont servi en Afghanistan de 1979 à 1989, avec un niveau annuel moyen du contingent qui oscille entre 80 000 et 108 000 militaires. 26 000 seront tués au combat, ou morts des suites de leurs blessures ou de maladies. 53 754 blessés et 415 932 malades. Du côté afghan, les pertes oscillent entre 1 et 2 millions de morts et il y aura près de 5 millions de réfugiés.
Pour le système soviétique, ce sera le coup de grâce et il ne s’en remit jamais. Sur le plan militaire et diplomatique néanmoins, les Russes ont appris de leurs erreurs et de leurs succès. Ce qui les aidera assurément à être victorieux dans d’autres conflits asymétriques ultérieurs comme en Tchétchénie ou en Syrie…
Pour les États-Unis, c’est une victoire. Ils ont réussi à mettre à genoux l’Union soviétique. Quelques voix au Pentagone ou à la CIA ne seront pas écoutées quant à la nécessité d’une reconstruction du pays après le départ des Russes et surtout, sur le danger d’avoir aidé à créer, directement ou indirectement, des monstres qui finiraient inévitablement par se retourner contre l’Occident.
Au contraire, les préceptes de Zbigniew Brzezinski restent dominants au sein des différentes administrations et surtout de la CIA, du moins jusqu’au 11 septembre 2001. En effet, l'idée, apparue dans les années 70 et qui consiste à instrumentaliser l'Islam radical contre l'influence communiste, va se poursuivre contre la Russie dans les années 1990 notamment dans les Balkans, le Caucase (Tchétchénie, Daghestan…) et ailleurs…
En Afghanistan, une fois le retrait soviétique consommé et dès la chute du régime prosoviétique (à cause de la fin de l’URSS mais qui s’est maintenu tout de même jusqu’en 1992 !), les dissensions commencent à réapparaître entre les différents groupes armés et la guerre civile s’installe. Les rebelles islamistes les plus radicaux ont toujours refusé de déposer les armes. Ils vont former une alliance nommée « Émirat Islamique d’Afghanistan », plus connu sous le nom de « Talibans ».
Toujours soutenus par le Pakistan (matériels), ils prennent Kaboul en 1996, instaurent la Charia, et éliminent les opposants et les anciens moudjahidines plus modérés, comme ceux du Commandant Massoud, avec lesquels ils avaient pourtant combattu côte à côte quelques années auparavant contre les Russes.
Sous l’égide de leur chef, le Mollah Omar, le pays devient un sanctuaire et une base arrière de l’islamisme international ainsi qu’un camp d’entraînement géant. Certains anciens volontaires étrangers (on les appellera désormais les « Afghans ») retournent comme terroristes dans leurs pays d’origine ou partent combattre dans les années 1990-2000 en Ex-Yougoslavie (Bosnie Herzégovine et Kosovo), en Algérie avec le GIA ou encore plus récemment en Syrie et en Iraq au sein d’al-Qaïda (créée d’ailleurs en Afghanistan en 1987) ou de Daech.
C’est depuis les montagnes afghanes qu’Oussama ben Laden, devenu entre-temps le chef d’al-Qaïda, lance son attaque contre l’Amérique en septembre 2001. La suite est connue…