Le Groenland, ultime frontière américaine ?
Lorsqu’en 1803, Thomas Jefferson acheta la Louisiane pour 15 millions de dollars, doublant ainsi la taille des États-Unis, il dut braver des critiques féroces.
Certains voyaient cette acquisition comme une violation des principes constitutionnels qu’il défendait.
Plus tard, en 1867, lorsque William Seward, secrétaire d’État, paya 7,2 millions de dollars pour l’Alaska, l’achat fut raillé sous le nom de « folie de Seward ». Pourtant, ces deux transactions, aujourd’hui saluées comme des coups de génie, ont prouvé qu’un pari stratégique sur de nouvelles terres peut transformer une nation.
Aujourd’hui, une question similaire se pose : les États-Unis devraient-ils acheter le Groenland ? Cette île gigantesque, riche en ressources naturelles et stratégiquement située dans l’Arctique, pourrait bien être le prochain chapitre de cette saga d’acquisitions visionnaires.
Une île au trésor dans l’Arctique
Le Groenland, territoire autonome du Danemark, est la plus grande île du monde, avec une superficie de 2,1 millions de kilomètres carrés. Sous ses glaciers se cachent des richesses colossales, notamment des terres rares, du minerai de fer, de l’uranium et des réserves énergétiques encore inexploitées.
Ces ressources, indispensables aux technologies modernes, offrent aux États-Unis une opportunité de réduire leur dépendance à la Chine, qui domine aujourd’hui la production mondiale de terres rares.
Selon The Economist, l’Arctique lui-même devient un territoire clé. La fonte des glaces ouvre de nouvelles routes maritimes, comme la route maritime du Nord, qui pourrait raccourcir de 40 % les temps de transit entre l’Asie et l’Europe. Posséder le Groenland placerait les États-Unis au centre de cette nouvelle dynamique commerciale, tout en consolidant leur position géopolitique dans une région de plus en plus disputée.
Une position stratégique cruciale
Déjà, les États-Unis disposent d’une présence militaire au Groenland grâce à la base aérienne de Thulé, un avant-poste stratégique pour la défense antimissile et la surveillance spatiale. Mais la montée en puissance de la Chine et de la Russie dans l’Arctique pousse Washington à renforcer son contrôle dans cette zone.
Comme le souligne The Economist, « le Groenland est bien plus qu’un bloc de glace : c’est un joyau stratégique au cœur des rivalités entre grandes puissances ». Alors que Moscou multiplie ses bases militaires dans l’Arctique et que Pékin investit dans des projets miniers au Groenland, les États-Unis risquent de perdre leur avantage s’ils ne prennent pas des mesures audacieuses.
Les défis politiques et culturels
Toute tentative d’achat du Groenland ne se ferait pas sans résistance. En 2019, lorsque le président Donald Trump avait publiquement évoqué cette idée, elle avait été immédiatement rejetée par le Danemark, qualifiant la proposition « d’absurde ».
Pour Copenhague, le Groenland est plus qu’une source de fierté nationale : c’est une responsabilité historique et économique.
Du côté des Groenlandais, majoritairement Inuits, la question de l’autonomie reste centrale. Bien qu’ils dépendent du Danemark pour des subventions annuelles de 600 millions de dollars, beaucoup voient l’idée d’un achat américain comme une atteinte à leur souveraineté. Une intégration réussie passerait probablement par une autonomie substantielle, similaire à celle de Porto Rico ou des Samoa américaines.
Une affaire risquée mais prometteuse
L’achat du Groenland aurait un coût astronomique. Certains experts estiment qu’il pourrait atteindre plusieurs centaines de milliards de dollars, en comptant le développement des infrastructures et l’exploitation des ressources.
Cependant, comme le rappelle l’histoire, les acquisitions américaines ont souvent été jugées extravagantes avant de devenir visionnaires. L’Alaska, par exemple, a généré plus de 250 milliards de dollars de revenus pétroliers pour l’économie américaine.
Le Groenland pourrait suivre cette trajectoire. Avec des investissements stratégiques, l’île pourrait devenir un pilier de l’économie américaine, tout en renforçant sa sécurité énergétique et son influence mondiale.
Une vision pour le futur
La question est donc la suivante : les États-Unis ont-ils encore la capacité d’imaginer des projets aussi audacieux ? Comme l’écrit The Economist, « si l’acquisition du Groenland semble aujourd’hui improbable, l’histoire montre que les meilleures décisions géopolitiques sont souvent celles qui défient les conventions ».
L’affaire du Groenland pourrait être l’un des plus grands paris du XXIe siècle, un test de la capacité des États-Unis à innover face aux défis d’un monde en mutation. Mais, comme pour la Louisiane ou l’Alaska, seuls le temps et la vision politique diront si ce pari serait l’affaire du siècle ou une opportunité manquée.
Par Olivier d’Auzon