Le Niger peut-il se permettre de défier Pékin ?
Dans les couloirs feutrés de la diplomatie internationale, chaque geste compte. Et lorsque le Niger, après un différend retentissant avec le géant français Orano, décide d’ouvrir un second front face à la China National Petroleum Corporation, l’impact dép
Cette posture, perçue comme téméraire, pourrait plonger le pays dans une spirale d’isolement économique et diplomatique, menaçant son développement et sa stabilité.
Un pari risqué avec les investisseurs étrangers
À Niamey, les responsables politiques affichent leur détermination : défendre les intérêts nationaux coûte que coûte. Mais ce bras de fer avec deux des plus grandes multinationales du secteur des ressources naturelles envoie un signal inquiétant. Les investisseurs étrangers, souvent prudents, regardent désormais le Niger avec méfiance.
Les conséquences d’une telle perception ne sont pas nouvelles en Afrique. Prenons l’exemple de la République du Congo.
Dans les années 2000, ce pays a vu ses investissements directs étrangers (IDE) s’effondrer après des conflits juridiques avec les géants Total et Eni. Cette crise a entraîné une décennie de stagnation économique, marquée par un ralentissement des projets d’infrastructure et une dépendance accrue aux fluctuations des marchés mondiaux.
Pour le Niger, qui cherche à diversifier son économie et attirer des capitaux, l’image d’un terrain instable pourrait s’avérer désastreuse.
S’opposer à CNPC : un défi contre la Chine
En ciblant CNPC, ce n’est pas seulement une entreprise que le Niger défie, mais l’un des bras armés économiques de la Chine. Pékin, avec sa politique ambitieuse de la Belt and Road Initiative, contrôle une partie essentielle des infrastructures énergétiques du continent africain.
En 2018, le Soudan du Sud a vécu une expérience similaire. Après un différend avec CNPC, les projets pétroliers de ce pays jeune mais riche en hydrocarbures ont été gelés. Résultat : une crise économique exacerbée et des pertes financières colossales.
Si le Niger persiste dans cette voie, les répercussions pourraient aller bien au-delà du secteur pétrolier. La Chine, principal bailleur de fonds pour de nombreux pays africains, pourrait réduire ses financements ou imposer des conditions plus strictes à Niamey.
L’épée de Damoclès diplomatique
La Chine n’est pas seulement un acteur économique. Son influence diplomatique s’étend dans les institutions multilatérales, de l’ONU à la Banque mondiale. Dans le passé, Pékin a démontré sa capacité à utiliser ces leviers pour protéger ses intérêts stratégiques.
La Zambie, par exemple, en a fait les frais lorsqu’un conflit autour des mines de cuivre a éclaté. Pékin a conditionné son soutien financier à des concessions politiques majeures, plaçant le pays dans une position de faiblesse.
Le Niger, qui dépend largement de l’aide internationale et des prêts multilatéraux, pourrait à son tour se retrouver isolé sur la scène mondiale, sans les soutiens nécessaires pour relancer son économie.
Des précédents inquiétants
Les exemples d’autres pays africains illustrent les risques d’un conflit mal géré avec des multinationales ou des États puissants :
• En 2016, le Tchad a infligé une amende faramineuse de 74 milliards de dollars à ExxonMobil. Finalement, le pays a dû négocier un règlement bien moins avantageux pour éviter un effondrement économique.
• En 2010, la Guinée a annulé une licence d’exploitation du gigantesque gisement de fer de Simandou, détenue par Rio Tinto. Les conflits juridiques qui ont suivi ont retardé le projet de plusieurs années, privant la Guinée de milliards de dollars de recettes potentielles.
• L’Angola, en durcissant les conditions d’exploitation pétrolière, a vu sa production chuter, aggravant sa dépendance aux fluctuations des cours mondiaux.
Ces exemples soulignent une réalité implacable : s’aliéner des partenaires stratégiques peut coûter bien plus cher que ce que l’on cherche à protéger.
Une impasse évitable ?
Pour le Niger, la question n’est pas seulement de défendre ses intérêts, mais de le faire de manière pragmatique. Loin des discours de défiance, il est urgent de privilégier des mécanismes de résolution diplomatique.
Le pays dispose de ressources précieuses – uranium, pétrole – qui, bien gérées, pourraient être le moteur d’un développement durable. Mais pour cela, il doit restaurer la confiance des investisseurs et préserver ses relations avec ses principaux partenaires.
Dans un monde où les rapports de force sont dominés par des acteurs comme la Chine, l’Europe ou les États-Unis, le Niger ne peut se permettre de jouer seul. Chaque décision doit être pesée avec soin, car les erreurs, dans ce domaine, se payent souvent sur plusieurs générations.
Ainsi, la posture actuelle du Niger, bien qu’elle puisse sembler affirmée, risque de compromettre ses ambitions à long terme. Entre pragmatisme et diplomatie, Niamey doit désormais choisir la voie qui garantira sa prospérité future.
Par Olivier d’Auzon