Israël et Turquie : la rivalité sunnite-sioniste au cœur de la Syrie post-Assad
La chute du régime de Bachar El-Assad en Syrie a bouleversé l’équilibre géopolitique du Moyen-Orient, offrant une opportunité à Israël et à la Turquie de redéfinir leurs rôles dans la région.
Sous leurs dirigeants respectifs, Benjamin Netanyahu et Recep Tayyip Erdoğan, ces deux puissances poursuivent des objectifs profondément divergents, transformant la Syrie en un théâtre de rivalité stratégique, confesse Amin Saikal dans Asia Times le 19 décembre 2024.
La Turquie : ambition ottomane et leadership sunnite
La Turquie, dirigée par Recep Tayyip Erdoğan, se positionne comme un acteur majeur dans la recomposition de l'ordre régional post-Assad.
Depuis des années, Ankara soutient les rebelles sunnites, notamment le groupe Hayat Tahrir al-Cham (HTS), pour affaiblir l’influence iranienne et russe en Syrie.
La victoire récente de HTS, facilitée par un soutien turc avéré, a marqué un tournant. Selon Téhéran, sans cette aide, le groupe n'aurait jamais pu renverser le régime d’Assad avec une telle rapidité.
En s’affichant comme le champion du monde sunnite, Erdoğan revendique une Turquie dominante dans une région autrefois sous contrôle ottoman. Sa rhétorique, rappelle le partage territorial après la Première Guerre mondiale. Elle renforce cette vision. Erdoğan a même suggéré que des villes syriennes comme Alep ou Damas auraient pu faire partie de la Turquie moderne si les frontières avaient été tracées différemment.
Dès la chute de Bachar El- Assad, la Turquie a rouvert son ambassade à Damas et offert son soutien pour instaurer un nouvel ordre islamiste dirigé par HTS.
Toutefois, Erdoğan demeure farouchement opposé à tout compromis avec la minorité kurde en Syrie, alliée des États-Unis, qu’il considère comme une menace directe pour l’intégrité territoriale turque.
Israël : sécurité nationale et ambitions territoriales
Pendant que la Turquie consolide son influence, Israël a profité du chaos syrien pour sécuriser ses frontières et renforcer son contrôle territorial. Sous la direction de Benjamin Netanyahu, Israël a lancé des frappes massives sur des cibles militaires syriennes, détruisant des arsenaux, des avions de combat et des dépôts d’armes chimiques. L'objectif affiché est clair : empêcher que ces ressources ne tombent entre les mains de groupes extrémistes.
Israël a également mené une incursion terrestre dans le plateau du Golan, un territoire stratégique. Bien que présenté comme temporaire, ce mouvement suscite des critiques acerbes de la part des pays arabes, dont la Turquie, qui qualifient cette action de tentative d’annexion.
Netanyahu, conscient des risques posés par la montée en puissance d’un groupe islamiste comme HTS, considère l’émergence d’un "État jihadiste" en Syrie comme une menace existentielle.
Bien que le leader de HTS, Ahmad al-Sharaa (alias Abu Mohammad al-Jolani), ait assuré qu’il n'utiliserait pas la Syrie pour attaquer Israël, il exige néanmoins le retrait israélien des territoires syriens occupés, conformément à l’accord de 1974.
Des tensions accrues entre Erdoğan et Netanyahu
Les relations déjà tendues entre Israël et la Turquie se sont encore détériorées avec l’intensification des conflits régionaux. Erdoğan, fervent défenseur de la cause palestinienne, a condamné avec virulence l’intervention israélienne à Gaza, qu’il qualifie de "génocide", ainsi que l’invasion du Liban par Israël plus tôt cette année.
De son côté, Netanyahu n’a pas mâché ses mots, qualifiant Erdoğan de "dictateur" et l’accusant de réprimer les opposants politiques en Turquie. Les deux dirigeants échangent des accusations sévères, amplifiant une rivalité qui semble s’ancrer durablement.
Le rôle des États-Unis : équilibre délicat
Face à ces dynamiques conflictuelles, les États-Unis, alliés des deux pays, tentent de jouer les médiateurs. Washington cherche à orienter HTS vers un modèle de gouvernance post-Assad compatible avec ses intérêts stratégiques. Cela inclut le maintien de ses alliés kurdes dans le nord-est de la Syrie, la prévention d’un retour de l’État islamique, et la préservation de la présence militaire américaine dans la région.
Toutefois, l’émergence d’une rivalité ouverte entre Israël et la Turquie complique cette équation. Certains observateurs n’écartent pas la possibilité d’une confrontation militaire, surtout si Israël décide de rendre permanente son occupation de la zone démilitarisée sur le Golan syrien.
L’Iran : un acteur affaibli
Pour l’Iran, la chute de Bachar El-Assad représente une perte majeure. Privée de cet allié crucial, Téhéran voit son "axe de résistance" contre Israël et les États-Unis affaibli.
Cela crée un vide que la Turquie et Israël tentent désormais de remplir, chacun à sa manière, au détriment des ambitions iraniennes.
Vers l’intensification des rivalités idéologiques, stratégiques et territoriales
Alors que la Syrie entame une phase post-Assad, la compétition entre Israël et la Turquie pourrait redéfinir l’avenir de la région. Si une guerre directe apparaît peu probable à court terme, l’intensification de leurs rivalités idéologiques, stratégiques et territoriales laisse présager une période de grande instabilité au Moyen-Orient.