Les grands projets chinois en Afrique : la « diplomatie du piège de la dette » ?
Depuis deux décennies, l'Afrique a vu croître de manière exponentielle les investissements et financements chinois.
Ces engagements, souvent réalisés rapidement et sans les conditions strictes habituellement imposées par les bailleurs de fonds traditionnels, ont transformé le paysage infrastructurel du continent. Pourtant, malgré l’ampleur des projets, les bénéfices attendus tardent à se concrétiser pleinement. Dans une analyse publiée par The Conversation , début janvier 2025 des experts interrogent l’efficacité de ces initiatives et mettent en lumière les défis à relever pour maximiser leur impact.
Une approche pragmatique qui séduit
Pour de nombreux dirigeants africains, l’approche chinoise se distingue par sa réactivité et son pragmatisme.
En 2008, Abdoulaye Wade, ancien président du Sénégal, déclarait : « L’approche de la Chine vis-à-vis de nos besoins est simplement mieux adaptée que l’approche post-coloniale lente et parfois condescendante des investisseurs européens, des organisations de donateurs et des ONG. » Ces propos reflètent un sentiment largement partagé : les financements chinois, concentrés sur les infrastructures, semblent alignés sur les priorités immédiates des pays africains.
À travers des projets comme l’autoroute de Nairobi, construite par la China Road and Bridge Corporation, ou encore les investissements massifs dans les ports et réseaux ferroviaires, la Chine a contribué à transformer les villes africaines. Ces initiatives visent non seulement à renforcer les capacités logistiques et économiques des nations, mais aussi à préparer les métropoles africaines à devenir des centres urbains productifs et durables.
L’initiative de la Ceinture et de la Route : un levier stratégique
Depuis 2013, l’Initiative de la Ceinture et de la Route constitue un pilier des ambitions chinoises en Afrique. Cette stratégie, qui s’appuie sur le développement d’un vaste réseau de routes commerciales, a permis à 44 pays africains d’intégrer un cadre de coopération global. Selon The Conversation, la Chine a investi 2,5 fois plus dans les infrastructures africaines que tous les pays occidentaux réunis.
Ces investissements sont motivés par la conviction que les infrastructures urbaines jouent un rôle clé dans la croissance économique. La Chine elle-même en est un exemple frappant : en quelques décennies, elle a bâti le plus vaste réseau ferroviaire à grande vitesse au monde et a transformé ses ports pour stimuler les exportations. Ces projets d’envergure ont accompagné la transition de la Chine d’une économie agraire à la deuxième économie mondiale, permettant à plus de 800 millions de personnes de sortir de la pauvreté.
Des projets emblématiques, mais des limites persistantes
Malgré ces succès, l’impact des investissements chinois en Afrique est souvent entravé par des problèmes structurels et stratégiques. Certaines infrastructures, bien que coûteuses, peinent à remplir leurs objectifs. C’est le cas du chemin de fer à écartement standard au Kenya, financé par des prêts chinois. Bien qu’ambitieux, ce projet reste incomplet sans son extension vers l’Ouganda et le Rwanda, rendant sa viabilité commerciale incertaine.
D’autres exemples illustrent les défis posés par des coûts élevés et une mauvaise planification. En Ouganda, l’autoroute reliant Entebbe à Kampala est devenue l’une des routes les plus coûteuses au kilomètre. À Addis-Abeba, le tramway urbain, construit pour 475 millions de dollars, transporte bien moins de passagers que prévu. Le gouvernement éthiopien peine aujourd’hui à financer ses coûts de maintenance, estimés à 60 millions de dollars.
Selon The Conversation, ces échecs relatifs sont exacerbés par un manque de transparence dans les accords de financement et une absence de vision stratégique. Ces projets risquent de devenir des "éléphants blancs", des infrastructures inutilisées ou sous-utilisées.
Les critiques de la "diplomatie du piège de la dette"
La question de l’endettement lié aux prêts chinois suscite des débats. Certains accusent Pékin de pratiquer une "diplomatie du piège de la dette", en accordant des prêts difficiles à rembourser pour pousser les pays débiteurs à céder des actifs stratégiques. Cependant, comme le souligne The Conversation, cette critique occulte plusieurs réalités.
D’abord, les prêts commerciaux occidentaux dominent toujours les financements en Afrique. Ensuite, la Chine elle-même s’inquiète de la soutenabilité des dettes africaines : ses financements dans le cadre de l’Initiative de la Ceinture et de la Route ont chuté de 55 % entre 2021 et 2022. Enfin, la responsabilité des dirigeants africains dans la négociation et l’approbation des accords de financement ne doit pas être minimisée. Les gouvernements africains, en approuvant ces projets, sont comptables de leur efficacité et de leur pertinence pour leurs citoyens.
Construire un avenir commun
Pour tirer parti de l’expertise chinoise, les dirigeants africains doivent mieux définir leurs priorités et garantir une planification à long terme des projets. La Chine possède une expérience crédible en matière d’urbanisation rapide et de transformation économique. En collaborant étroitement, les deux parties pourraient bâtir des infrastructures capables de soutenir une urbanisation inclusive et durable en Afrique.
Comme le conclut The Conversation, il est impératif d’évaluer objectivement les réussites et les échecs des investissements chinois en Afrique. Les leçons tirées permettront de transformer ces projets en véritables leviers de développement, répondant aux aspirations des populations africaines tout en consolidant les relations sino-africaines
Olivier d’Auzon