Remplacer le Gaz Russe ?: Oui… mais à quel prix ?
Alors que les relations géopolitiques restent tendues entre l’Europe et la Russie, les États-Unis apparaissent comme le principal fournisseur alternatif de gaz naturel liquéfié (GNL) pour l’Europe.
Cependant, cette transition soulève de nombreuses questions sur les coûts, les infrastructures, et les engagements à long terme, à l’heure où l’Europe poursuit ses ambitions de décarbonisation.
Un ultimatum américain : le poids de la politique
Le débat s’est intensifié après les récentes déclarations du président élu Donald Trump. Dans un message publié sur Truth Social, Trump a menacé l’Union européenne d’imposer des tarifs douaniers si Bruxelles n’accroissait pas ses achats de GNL américain.
"J'ai dit à l'Union européenne qu'elle devait combler son énorme déficit avec les États-Unis par l'achat massif de notre pétrole et gaz. Sinon, ce sera TARIFS douaniers à tous les niveaux !!!"
Cette approche agressive reflète la stratégie "America First" de Trump, visant à renforcer les exportations énergétiques américaines tout en réduisant la dépendance de l’Europe au gaz russe.
Les États-Unis : leader incontesté du GNL en Europe
Selon Samantha Dart, co-directrice de la recherche sur les matières premières chez Goldman Sachs, les États-Unis sont déjà le principal fournisseur de GNL en Europe, avec une part moyenne de 46 % des importations totales en 2024. Cette position dominante s’est consolidée depuis la crise énergétique européenne de 2022, au cours de laquelle les livraisons américaines vers l’Europe ont bondi de 197 %.
Cependant, la majorité des ventes de GNL américain repose sur des contrats flexibles. Cette souplesse permet aux acheteurs de rediriger les cargaisons vers des marchés plus lucratifs, comme cela a été observé lors de la crise énergétique, où les prix européens surpassaient ceux des autres régions du monde.
Remplacer le GNL russe : une solution coûteuse
Théoriquement, les États-Unis pourraient combler le vide laissé par le GNL russe en Europe, estimé à 17 millions de tonnes par an (mtpa). Les livraisons américaines actuelles vers des marchés non européens excèdent ce volume. Cependant, un tel réacheminement ne serait pas sans conséquences.
• Coûts logistiques accrus : Le réacheminement des cargaisons entraînerait des routes plus longues et des coûts d’expédition plus élevés.
• Impact limité sur les exportateurs américains : La capacité d’exportation totale des États-Unis resterait inchangée, limitant les gains économiques pour les exportateurs.
Pour l’Europe, ces ajustements pourraient se traduire par une augmentation des coûts d’importation, un défi supplémentaire alors que le continent tente de stabiliser ses marchés énergétiques.
Les ambitions de décarbonisation : un frein aux engagements à long terme
Malgré leur dépendance croissante au GNL américain, les pays européens hésitent à conclure des contrats à long terme avec des exportateurs américains. Cette prudence s’explique par les objectifs de décarbonisation de l’Union européenne, qui visent à réduire progressivement la dépendance au gaz naturel.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, les entreprises européennes sont à la traîne par rapport aux importateurs asiatiques en matière de signature de nouveaux contrats à long terme. Pourtant, ces engagements sont essentiels pour que de nouveaux projets américains de liquéfaction atteignent une décision finale d’investissement (FID).
Une transition énergétique sous tension
La volonté des États-Unis de devenir le fournisseur privilégié de GNL pour l’Europe s’inscrit dans un contexte géopolitique complexe. Si la substitution du GNL russe par du GNL américain est possible sur le plan technique, elle s’accompagne de nombreux défis :
• La hausse des coûts pour les consommateurs européens.
• L’impact limité sur les revenus d’exportation américains.
• Les tensions entre les objectifs énergétiques de court terme de l’Europe et ses engagements climatiques de long terme.
Alors que les relations entre les États-Unis et l’Europe se réajustent, la question du GNL met en lumière la complexité de la transition énergétique mondiale. Les États-Unis pourraient, en théorie, combler le vide laissé par la Russie, mais à quel prix ? Pour l’Europe, la réponse réside dans un équilibre délicat entre sécurité énergétique, compétitivité économique et ambitions climatiques.
Olivier d’Auzon