Émergence du « Sud Global » :Lavrov milite pour un monde multipolaire
Dans une ère marquée par de profonds bouleversements géopolitiques et économiques, Sergueï Lavrov, le ministre des Affaires étrangères de la Russie, s’est imposé comme une voix influente dans la reconfiguration des relations internationales.
Lors d’un entretien accordé à Rossiyskaya Gazeta, le 26 décembre 2024 , il a dévoilé une vision stratégique ambitieuse : remodeler les institutions mondiales pour briser l’emprise économique de l’Occident sur les pays en développement, tout en critiquant la manière dont l’agenda climatique est utilisé comme un outil de domination.
Le « Sud Global », prisonnier d’une relation asymétrique
Lavrov commence par pointer du doigt une réalité brutale : la richesse de l’Occident repose en grande partie sur l’exploitation des pays en développement. Il cite des exemples qui frappent par leur éloquence.
En Haïti, après le tremblement de terre de 2010, à peine 2,6 % des 2,5 milliards de dollars d’aide américaine ont été effectivement utilisés dans le pays. Le reste, selon lui, a fini dans les poches d’entrepreneurs américains.
Ce schéma d’exploitation s’étend à d’autres secteurs. En Afrique, bien que le continent soit un producteur clé de café, il ne reçoit que 10 % des profits générés par cette industrie. Pour Lavrov, ces faits traduisent une forme de néocolonialisme moderne, où les pays du Sud restent enfermés dans des systèmes économiques conçus pour les désavantages.
Repenser les Institutions Financières : L’Heure de la réforme a sonné
Dans sa critique, Lavrov n’épargne pas les grandes institutions financières internationales comme le Fonds Monétaire International (FMI) et l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ces institutions, selon lui, servent les intérêts des puissances occidentales. Il estime que les réformes promises pour les rendre plus équitables ne sont qu’illusions, des promesses vides destinées à maintenir l’ordre existant.
Face à cette inertie, Lavrov appelle à une action collective des pays émergents. Avec 36 % du PIB mondial, les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) surpassent déjà le G7. Cette dynamique, selon lui, offre une opportunité unique pour remodeler les règles du jeu mondial.
L’Agenda Vert : Opportunité ou Piège ?
Un des points centraux de l’analyse de Lavrov concerne l’agenda climatique, qu’il perçoit comme une arme à double tranchant. S’il reconnaît l’importance de la transition énergétique, il met en garde contre ses dérives. Selon lui, en insistant pour que les pays en développement abandonnent les énergies fossiles au profit de solutions renouvelables, l’Occident risque d’aggraver la pauvreté énergétique dans ces régions.
Lavrov ne se contente pas de critiquer. Il remet également en question l’idée dominante selon laquelle le réchauffement climatique serait principalement causé par l’activité humaine. Citant des courants scientifiques alternatifs, il laisse entendre que le débat autour du climat est parfois instrumentalisé pour asseoir une nouvelle forme de contrôle économique et politique.
Une transition énergétique pragmatique
Face à ces défis, Lavrov propose une solution qu’il juge plus réaliste. Plutôt que de basculer brutalement vers les énergies renouvelables, il préconise une transition progressive, avec un rôle accru pour le gaz naturel, qu’il décrit comme le plus propre des hydrocarbures.
Il appelle également à une diversification des sources d’énergie, notamment via le développement de l’énergie nucléaire, une expertise que la Russie est prête à partager avec ses partenaires. Cette approche, selon lui, permettrait aux pays en développement de réduire leur dépendance énergétique tout en évitant les pièges tendus par l’Occident.
Une Alliance naturelle entre la Russie et le « Sud Global »
Au-delà des intérêts économiques, la stratégie de Lavrov reflète une ambition géopolitique plus large. En aidant les pays en développement à réformer les institutions internationales et à éviter les pièges de l’agenda vert, la Russie cherche à affaiblir l’influence occidentale et à renforcer ses partenariats.
Ce rapprochement est, selon lui, mutuellement bénéfique. L’émancipation des pays du Sud affaiblirait l’emprise de l’Occident, tout en ouvrant de nouvelles opportunités pour la Russie.
Un nouvel Ordre en gestation
La vision de Lavrov repose sur une idée simple mais puissante : l’ordre mondial actuel ne reflète plus les réalités économiques et géopolitiques du XXIe siècle. En promouvant des réformes structurelles et une approche pragmatique de la transition énergétique, il invite les pays en développement à redéfinir leur destin.
Pour Lavrov, ce combat n’est pas seulement économique, mais également symbolique : il s’agit de mettre fin à des siècles de domination et de construire un avenir plus équitable pour les générations à venir. Dans ce contexte, la Russie se positionne comme un allié clé pour le Sud Global, dans une quête commune de justice et d’émancipation.
Olivier d’Auzon