Élection au Liban : Paris reléguée, Washington et Riyad au centre du jeu
L'élection de Joseph Aoun à la présidence du Liban, le 9 janvier 2025, constitue un événement marquant pour un pays plongé dans l'incertitude depuis plus de deux ans.
Mais derrière cette désignation se cache une réalité complexe, où les dynamiques internes et les influences internationales ont joué un rôle déterminant.
Parmi elles, la France d’Emmanuel Macron, autrefois acteur central dans la médiation des crises libanaises, semble avoir vu son poids diplomatique significativement réduit.
Un tournant attendu dans un pays en crise
Le général Joseph Aoun, un chrétien maronite âgé de 61 ans et ancien commandant de l’armée libanaise, a été élu au second tour avec 99 voix sur 128 sièges. Cette élection met fin à une vacance présidentielle de plus de deux ans, un vide qui avait paralysé les institutions libanaises et aggravé les crises économiques, sociales et politiques.
Pour beaucoup, l’élection de Joseph Aoun incarne un moment de respiration dans un contexte d’effondrement systémique. Son profil non partisan et sa réputation d’intégrité tranchent avec une classe politique minée par la corruption. Cependant, son ascension reflète aussi un rééquilibrage des forces régionales et internationales, dans lequel la France, autrefois pilier de la diplomatie libanaise, semble marginalisée.
La France en perte de vitesse
Historiquement, la France jouait un rôle prépondérant dans la médiation des crises au Liban, héritage de son mandat sur le pays et des liens culturels et économiques étroits qui unissent les deux nations. Pourtant, dans le processus qui a conduit à l’élection de Joseph Aoun, l’influence française est apparue reléguée au second plan.
Si l’envoyé spécial Jean-Yves Le Drian s’est rendu à Beyrouth pour plaider en faveur d’un compromis, son action n’a pas eu l’impact escompté. En effet, les pressions décisives sont venues principalement des États-Unis et de l’Arabie saoudite.
Washington, préoccupé par la montée en puissance du Hezbollah et de l’Iran, a intensifié ses efforts pour soutenir un candidat neutre et ferme sur les questions sécuritaires. Riyad, de son côté, a conditionné son aide financière et militaire à un rééquilibrage politique qui affaiblirait le Hezbollah.
« La France demeure un acteur symbolique, mais elle ne dicte plus l’agenda libanais », analyse une source diplomatique à Beyrouth. « Les véritables leviers de pression se trouvent désormais entre les mains des États-Unis et des pays du Golfe. Paris, malgré ses tentatives, n’a pas su imposer sa vision. »
Des négociations sous influence
L’élection de Joseph Aoun résulte d’un « forcing diplomatique » orchestré par plusieurs acteurs régionaux et internationaux. La guerre récente entre Israël et le Hezbollah a affaibli le mouvement chiite, obligeant ses alliés, notamment le parti Amal, à lâcher prise sur leur candidat favori, Sleiman Frangié. Ce retrait, combiné aux pressions de Washington et Riyad, a permis l’émergence de Joseph Aoun comme candidat de consensus.
Pour autant, cette dynamique met en lumière l’affaiblissement de la France. Paris, autrefois à l’avant-garde des efforts pour stabiliser le Liban, apparaît désormais jouer un rôle de soutien, plutôt que de leadership. Son influence est aujourd’hui éclipsée par les intérêts stratégiques des grandes puissances, notamment dans un contexte de tensions croissantes entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
Les défis d’un président sous contrainte
Joseph Aoun hérite d’un pays en ruine, où la reconstruction économique et politique nécessitera des réformes structurelles profondes. Pour regagner la confiance de la population et des investisseurs, il devra s’attaquer à plusieurs défis :
• Réformes économiques : restructurer le secteur bancaire, rétablir un système électrique fonctionnel et lutter contre la corruption.
• Stabilité sécuritaire : maintenir le cessez-le-feu avec Israël et gérer les tensions internes liées à la présence du Hezbollah.
• Diplomatie équilibrée : naviguer entre les attentes des puissances régionales et internationales, tout en réaffirmant la souveraineté du Liban.
Mais cette tâche sera d’autant plus difficile que la France, autrefois partenaire privilégié, n’est plus en position de garantir un soutien politique ou financier décisif.
Une ère d’incertitudes
L’élection de Joseph Aoun, bien qu’annonçant une stabilisation relative, met également en lumière le déclassement diplomatique de la France dans un pays où elle a longtemps joué un rôle majeur. Cette perte de poids illustre une redistribution des cartes géopolitiques au Moyen-Orient, où les nouveaux équilibres sont dictés par des puissances comme les États-Unis, l’Arabie saoudite et même Israël.
Pour le Liban, l’avenir dépendra de la capacité de son nouveau président à réconcilier les factions internes et à restaurer la confiance dans les institutions. Mais pour la France d’Emmanuel Macron, cette élection constitue un rappel brutal des limites de son influence dans un Moyen-Orient en pleine mutation.
Par Olivier d’Auzon