Consultant auprès de l'ONU à "Al-Ain News": Putsch au Niger, Coup d’Etat or not Coup d’Etat ?… demandez à Washington !
Dans un entretien à "Al Ain News", le Consultant juriste auprès des Nations Unies, de l'Union européenne et de la Banque mondiale, Olivier d'Auzon a évoqué la situation au Niger du point de vue de Washington.
Qu’on y songe, le Pentagone se refuse à qualifier de coup d’État le renversement du président nigérien – En adoptant sciemment une telle posture, Washington entend ménager la chèvre et le chou afin de sauvegarder ses intérêts et de pas impacter sur l’assistance militaire et la base de drones américaine.
Il y a pas si longtemps, le Président Joe Biden avait-il promis que les États-Unis "contreraient le recul démocratique en imposant des coûts pour les coups d'État" en Afrique.
Mais force est de constater que trois semaines après une mutinerie militaire dans le Sahel, impliquant des officiers formés aux États-Unis, le Pentagone rechigne d'appeler la prise de contrôle au Niger un « coup d'État ».
Alors que la Junte nigérienne, qui se fait appeler pompeusement le Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP), a pris le pouvoir le 26 juillet 2023 et détenu le président démocratiquement élu, Mohamed Bazoum, la France et l'Union européenne ont immédiatement qualifié cette aventure de coup d'État. Mais des semaines plus tard, les responsables du Pentagone ont à plusieurs reprises cessé d'utiliser ce mot, commente Nick Turse pour the Intercept dans son article intitulé : When a Coup is not a coup ? When the U.S says so.
Or « ne pas qualifier un coup d’État de « coup d’État » sape non seulement notre crédibilité, mais nuit également aux intérêts des Etats-Unis à long terme dans ces États », a déclaré Elizabeth Shackelford, chercheuse principale au Chicago Council on Global Affairs et auteur principal d’un futur rapport consacré à l’aide militaire américaine en Afrique.
« Nous avons des interdictions légales de fournir une assistance en matière de sécurité aux juntes pour une bonne raison. Ce n’est pas dans notre intérêt national à long terme de le faire ».
Or la législation américaine relative aux coups d'État, notamment l'article 7008 du Consolidated Appropriations Act, qui précise que tout pays dont « le chef de gouvernement dûment élu est destitué par un coup d'État ou un décret militaire » se verra automatiquement interdire de recevoir un vaste ensemble d'aide étrangère allouée par le Congrès.
La réticence du Pentagone à qualifier un coup d’État de coup d’État vise assurément à préserver la capacité de continuer à fournir une assistance en matière de sécurité au Niger, dirigé par la junte.
Dans cette perspective, l’attachée de presse adjointe du Pentagone, Sabrina Singh, a avait été interrogée sur les raisons pour lesquelles les États-Unis n'avaient pas qualifié la prise de pouvoir de coup d'État. Elle a confessé volontiers que« Cela ressemble certainement à une tentative de coup d’État ici »,« Nous avons des atouts et des intérêts dans la région, et notre principale priorité est de protéger ces intérêts et ceux de nos alliés. Donc une désignation comme celle que vous proposez change certainement ce que nous pourrions faire dans la région et la manière dont nous pourrions établir des partenariats avec l’armée nigérienne ».
Tout en qualifiant un coup d’État, après plus de trois semaines, Sabrina Singh a clairement expliqué pourquoi Washington pourrait être réticent à rompre ses relations avec la junte : « Le Niger est un partenaire et nous ne voulons pas voir ce partenariat disparaître », a-t-elle déclaré. « Nous avons investi, vous savez, des centaines de millions de dollars dans des bases là-bas, et nous y avons formé les militaires.
De fait, depuis 2012, les contribuables américains ont dépensé plus de 500 millions de dollars pour ce partenariat, ce qui en fait avec la France, l’un des plus grands programmes d’assistance à la sécurité en Afrique subsaharienne.
Chacun sait que le Niger abrite l’une des bases de drones les plus grandes et les plus coûteuses gérées par l’armée américaine.
Construite dans la ville d’Agadez, au nord du pays, pour un prix de plus de 110 millions de dollars et entretenue à hauteur de 20 à 30 millions de dollars chaque année, la base aérienne 201 est un centre de surveillance et la cheville ouvrière d’un archipel d’avant-postes américains en Afrique de l’Ouest. Il abrite du personnel de la Force spatiale, un détachement aérien d'opérations spéciales conjointes et une flotte de drones, dont des MQ-9 Reapers armés.
Chacun sait, qu’en juillet 2023, soit un mois précédant le coup d’État, l’avant-poste de drones a été le lieu d’une réunion entre le général de Brigade Moussa Salaou Barmou, chef des forces spéciales nigériennes formé aux États-Unis, et le lieutenant-général Jonathan Braga, chef du commandement des opérations spéciales de l'armée américaine.
En quelques semaines, le général Barmou a été assurément complice dans l’élaboration du plan destiné à reverser Mohamed Bazoum et, il y a plus, selon un responsable du gouvernement américain, il aurait menacé le Secrétaire d'État adjoint par intérim Victoria Nuland d'exécuter le président renversé si les pays voisins tentaient une intervention militaire.
Lorsqu’on s’interroge pourquoi Sabrina Singh tergiversait pour éviter de qualifier le renversement de Bazoum de « coup d’État », un porte-parole du Pentagone a renvoyé la responsabilité au Département d’État. « Le ministère de la Défense ne détermine pas si la situation au Niger est un coup d'État », a déclaré le major Pete Nguyen. "Le Département d'État déterminera si la situation au Niger « est un coup d'État."
Dans ce contexte, Sarah Harrison, qui a travaillé pendant quatre ans en tant qu'avocate générale adjointe au Bureau des avocats généraux du Pentagone, notamment en fournissant des conseils sur les activités américaines en Afrique, affirme qu'il existe un malentendu populaire selon lequel ne pas qualifier une prise de pouvoir militaire de « coup d'État » signifie que le gouvernement américain n’est pas obligé de restreindre « l’accès ».
Quoiqu’il en soit, la loi américaine n’exige aucunement la désignation formelle de « coup d’État ». Elle entre en vigueur, et ce quelle que soit la manière dont les autorités choisissent de qualifier les événements », explique Sarah Harrison.
« En qualifiant cela de « tentative de coup d’État », il suggère implicitement qu’il y aura un renversement de la situation et nie les faits sur le terrain. »
Dans la même veine, Elias Yousif, analyste de recherche au programme de défense conventionnel de défense au think tank Stimsom Center, comme une « posture politique » tout à fait douteuse. "En qualifiant cela de 'tentative de coup d'État’, il suggère implicitement qu'il y aura un renversement de la situation et nie les faits au motif que le président est strictement assigné à résidence et que la junte militaire dirige le spectacle", a-t-il déclaré. Et il n’y a point de doute, « Il y a eu un coup d’État au Niger. C'est la réalité."
Et si Madame l'Ambassadeur des Etats-Unis FitzGibbon arrive à Niamey, cette arrivée ne signifie pas que les Etats-Unis adoubent forcément le coup d'État militaire.
Du reste, Washington réclame toujours la libération et le retour au pouvoir du président élu Mohamed Bazoum. Et "Ce n'est pas le signe d'un changement de politique des Etats-Unis, mais de leur implication continue" dans cette crise, a expliqué à la presse un porte-parole du département d’État américain, Vedant Patel. Les observateurs avertis pourraient lui rétorquer : « balivernes »…
On l’aura compris, Washington, ménage la chèvre et le chou .
Après plus de trois semaines révolues après le Putsch ( or not Putsch ?) sait pertinemment que le temps joue en faveur du Conseil national pour la sauvegarde de la patrie (CNSP),Washington est d’ores et déjà en position de force pour négocier avec la junte en jetant aux orties ses principes liés à la bonne gouvernance, tout en faisant, sans vergogne, mordre la poussière ses alliés ( la France) ; son objectif étant de sauvegarder ses intérêts militaires.
Et compte tenu de l’occurrence plus que jamais hypothétique de l’intervention militaire initiée par la Communauté économique des Etats d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) pour restaurer l’ordre constitutionnel au Niger, le temps est décidément le meilleur allié des putschistes au pouvoir.
Dans ce contexte, les Putschistes savent opportunément jouer avec les divisions des Occidentaux : les partisans de la « ligne dure », ceux qui militent pour la restauration de Mohamed Bazoum au pouvoir, en particulier, Paris, contre ceux qui sont partisans d’un dialogue avec les Putschistes, à l’instar de Washington.