Guerre en Ukraine : Les Émirats arabes unis choisissent la prudence et la diplomatie
Quelques jours après la décision controversée de l’OPEP+Russie de baisser drastiquement la production de pétrole, le président des Émirats arabes unis (EAU), Mohammed ben Zayed, s’est rendu mardi dernier en Russie pour rencontrer Vladimir Poutine.
A l’inverse des Européens, le dirigeant émirati souhaite privilégier la diplomatie et jouer le rôle de médiateur dans le conflit ukrainien…
Depuis le début la guerre russo-ukrainienne, les Occidentaux, États-Unis et Union européenne en tête, ont pris diverses mesures visant à isoler et affaiblir Moscou sur la scène internationale.
Or, comme la Chine, aucun des grands pays d’Amérique latine, d’Afrique et d’Asie n’a suivi l’hystérie américaine et européenne contre la Russie, préférant respecter leurs agendas et intérêts, sans obéir à l’ancien gendarme et « boussole » (Biden) du monde.
C’est aussi la raison pour laquelle, ignorant les pressions de Washington dans sa croisade antirusse et au grand dam des Occidentaux, la plupart des pays arabes et du Golfe refusent, comme je l’ai écrit en juin dernier, de rompre avec leur partenaire russe et le condamner.
C’est notamment le cas de l’Arabie saoudite et des Émirats arabes qui se montrent réticents à suivre la politique jusqu’au-boutiste américaine contre Moscou.
La visite en Russie de Mohamed Ben Zayed intervient après la décision du 5 octobre de l’OPEP+ de baisser de manière significative sa production de brut afin de doper les cours.
Cet accord OPEP+ regroupe les 13 membres de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) dont les Émirats, menés par l’Arabie saoudite, et dix autres États conduits par la Russie.
Cette décision a été très critiquée par Washington puisque qu’elle va à l’encontre de ses appels pour, au contraire, ouvrir largement les vannes de l’or noir et faire baisser les prix. De plus, elle annihile ainsi sa stratégie visant à « saigner » les Russes en les privant de l’une de leur principale ressource financière.
De fait, il est clair que Riyad et Abou Dhabi, même s’ils veulent préserver leurs liens avec les Américains, refusent une nouvelle logique de bloc et préfèrent plutôt un rééquilibrage des forces. Ils n’ont ni intérêt ni la volonté de durcir leurs positions à l’égard de Moscou qui est devenu depuis quelques années un partenaire de poids de l’Entente Égypte-Arabie saoudite-EAU notamment dans leur lutte sans précédent contre le terrorisme et l’islam politique au Moyen-Orient (cf. Poutine d’Arabie, VA Éditions, 2020).
Russie/EAU : un partenariat stratégique solide
C’est à partir de juin 2018, que les Émirats arabes unis furent le premier pays du Golfe à signer un partenariat stratégique officiel et important avec la Russie. Ainsi, par cet accord, Mohammed ben ZZayd et Vladimir Poutine ont solidifié leur coopération bilatérale qui s’est également diversifiée à d’autres domaines : politique, économique, sécuritaire, militaire ou encore culturel.
Dès lors, les Émirats arabes unis ont depuis doublé le volume de leurs échanges commerciaux avec la Russie, qui atteignent aujourd’hui les cinq milliards de dollars.
La dernière visite de MBZ à Saint-Pétersbourg confirme ainsi la consolidation des relations entre les EAU et la Russie, initiée depuis plus de quatre ans.
Assurément, les dirigeants émirati et russe ont parlé pétrole. Mais ils ont aussi discuté d’un certain nombre sujets régionaux et internationaux d’intérêt commun.
Concernant la guerre en Ukraine, le président des EAU s’est posé en médiateur auprès de Poutine afin de résoudre le conflit et parvenir à un règlement politique de toutes les tensions internationales qui en découlent, à travers le dialogue, les négociations et la diplomatie.
Comme l’a souligné un communiqué du ministère des Affaires étrangères émirati, le but de cette rencontre était de trouver des « solutions politiques efficaces » à la crise ukrainienne et chercher « à obtenir des résultats positifs pour favoriser une désescalade militaire, réduire les répercussions humanitaires et parvenir à un règlement politique en vue d’établir la paix et la sécurité à l’échelle mondiale ».
Certes, une issue diplomatique à cette crise internationale semble encore très incertaine. Cependant, le Kremlin est sensible à cette démarche venant de son partenaire émirati. Poutine n’a plus aucune confiance dans les Européens et leur parrain américain qui écartent de plus en plus la diplomatie au détriment malheureusement de l’escalade militaire.
Par ailleurs, les Russes considèrent les EAU comme une sorte de nouvelle « République de Venise » du Moyen-Orient qui a maintes fois démontré son rôle majeur et son action pour la paix (Accords d’Abraham avec Israël) dans la région depuis ces dernières années. Moscou connaît le dynamisme, l’efficacité diplomatique et l’influence notoire d’Abou Dhabi au-delà du Proche-Orient et jusqu’en Europe.
N'oublions pas que les EAU sont également l’un des principaux alliés de la France et qu’ils viennent de signer avec l’Allemagne, en septembre dernier, un accord prévoyant la fourniture en 2022 et 2023 de gaz liquéfié et de diesel à Berlin.
L’avenir nous dira donc si Mohamed Ben Zayed parviendra finalement à faire entendre raison aux Occidentaux…
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020) et Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021)