Sahel : dans l’ombre du désert, Al-Qaïda tisse sa toile
Il est des vents qui sculptent le désert, et des hommes qui changent le cours des nations.
Dans le Sahel, cette étendue brûlante et insaisissable, une force invisible mais implacable s’est mise en marche. Depuis que le Niger a basculé dans les bras d’un pouvoir militaire, le 26 juillet 2023, la guerre contre les terroristes a pris une tournure que même les plus aguerris n’avaient pas anticipée, commente Nathalie Prevost, journaliste pour Mondafrique, le 13 janvier 2025. Ici, sous le soleil de feu et les étoiles glacées, c’est Al-Qaïda qui avance. Lentement, sûrement, comme une dune qui recouvre un village oublié.
L’ascension du GSIM : conquérants du désert
Iyad Ag Ghali, chef du Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans (GSIM), est un nom que l’on murmure dans les campements et les casernes. Une ombre parmi les ombres. Là où ses hommes passent, ils ne laissent qu’un silence pétrifié, comme si la terre elle-même s’interdisait de respirer.
Dans le delta central du Mali, ses combattants progressent. Village après village, ils imposent leur loi. Les paysans fuient, les milices dogons, autrefois fières et redoutées, plient sous les assauts. Le pouvoir malien, épaulé par les mercenaires russes de Wagner, tente de répondre, mais chaque attaque est une pierre jetée dans l’océan du désert.
Même Bamako, capitale étouffante et nerveuse, n’est plus un sanctuaire. En septembre 2024, deux explosions ont secoué la ville : une à l’aéroport, une autre à l’école de gendarmerie. Des attaques froides, précises, comme si le GSIM voulait rappeler qu’il n’oublie jamais.
Une alliance inédite au nord
Dans le nord malien, où le sable rencontre les montagnes, une nouvelle alliance se dessine. Le GSIM tend la main aux rebelles touaregs du Front de Libération de l’Azawad (FLA). Ensemble, ils bâtissent un pacte contre nature, né de la nécessité et de l’opportunisme. Iyad Ag Ghali, lui-même un fils du désert, sait parler aux siens. Il leur offre ce que personne d’autre ne peut donner : une vision, un ennemi commun, et peut-être un avenir.
Mais cet avenir s’écrit dans le sang. À Tessalit, à Kidal, les civils fuient en masse vers la Mauritanie. Ceux qui restent parlent de massacres, de rafles, de la peur qui s’installe comme un mauvais génie dans chaque maison.
Daech en déclin
Pendant ce temps, Daech recule. Jadis féroce rival du GSIM, il n’est plus qu’un prédateur blessé, acculé dans le triangle du Liptako-Gourma. Ses rêves d’expansion vers le golfe de Guinée se brisent contre la nouvelle puissance d’Al-Qaïda. Dans les zones qu’il contrôle encore, il s’accroche, frappant ici et là, mais son règne s’effrite.
À Tera, à la frontière ouest du Niger, des colonnes de fumée s’élèvent parfois à l’horizon. Des bases attaquées, des civils massacrés. Mais ce ne sont que les soubresauts d’un monstre en train de mourir.
Le sud sous pression
Au sud, le GSIM regarde vers le golfe de Guinée. Le Bénin, le Togo, le Ghana : ces pays sont pour l’instant des promesses, mais déjà des incursions terroristes troublent leurs frontières. Dans ces zones, les tensions communautaires se creusent. Les Peuls, accusés d’être des alliés naturels des terroristes, deviennent des cibles. Ce ressentiment nourrit un cycle infernal où la haine et la violence se renforcent mutuellement.
Des armées invisibles et redoutables
Pour mener sa guerre, le GSIM forme ses hommes. Dans des camps cachés, loin des regards, des centaines de combattants apprennent à se battre, à tuer, à mourir si nécessaire. Des formateurs venus du Yémen, eux-mêmes aguerris à des années de conflits, les préparent à tout.
Dans chaque attaque, dans chaque embuscade, se lit la discipline militaire et l’ingéniosité tactique. Des véhicules kamikazes surgissent comme des comètes dans la nuit. Les armes, modernes et abondantes, viennent de marchés d’armements clandestins, alimentés par les rançons et l’or des mines pillées.
« Ce n’est pas seulement un conflit local. C’est une crise dont les répercussions toucheront le monde entier »
Aujourd’hui, le GSIM est une hydre. Chaque tête représente une cellule, un émirat, un commandant. Chacune agit de manière autonome, mais toutes servent une même vision. Le porte-parole de la Katiba Macina l’a dit récemment : leur guerre ne s’arrêtera pas avant que les grandes villes soient tombées.
Dans ce Sahel immense, où la chaleur brûle la peau et où le froid de la nuit glace les âmes, les espoirs des peuples vacillent. Nathalie Prevost, journaliste à Mondafrique, l’écrit avec gravité : « Ce n’est pas seulement un conflit local. C’est une crise dont les répercussions toucheront le monde entier. »
Alors, les questions demeurent. Qui arrêtera cette avancée ? Qui osera défier le désert et ses maîtres ? Peut-être personne. Ou peut-être que, quelque part, une réponse se forge, lente et tenace, comme une rivière souterraine qui attend son heure pour jaillir.
Olivier d’Auzon