Un horizon voilé : la montée d’un califat au Sahel ?
Le Sahel, cette bande de terre aride entre le Sahara et les savanes d’Afrique de l’Ouest, pourrait à terme devenir le berceau d’un État terroriste.
Le Sahel, cette bande de terre aride entre le Sahara et les savanes d’Afrique de l’Ouest, pourrait à terme devenir le berceau d’un État terroriste. Loin des regards du monde, une transformation insidieuse se déroule, tissée par les ambitions des groupes insurgés affiliés à Daech et à al-Qaida. Sur ce territoire où la pauvreté le dispute à l’instabilité politique, les échos des kalachnikovs résonnent comme un sombre présage, commente Oluwole Ojewale de l’Institute for Security Studies pour The Conversation, le 14 janvier 2025.
Une mécanique bien huilée
La vision djihadiste est claire : établir un État régi par la charia sous l’autorégulation d’un calife, fusionnant pouvoir spirituel et politique. Des entités comme Jama’at Nusrat al-Islam wal-Muslimin (JNIM) et la province sahélienne de Daech opèrent avec une précision méthodique. Ces groupes, sévissant au Burkina Faso, au Mali, au Niger, et aux confins du Tchad, se rapprochent des frontières du Togo, du Bénin et du Ghana, illustrant une stratégie expansionniste assumée.
D'après Armed Conflict Location and Event Data (ACLED), les décès dus aux violences dans cette région ont atteint 7 620 au premier semestre 2024, une hausse de 190 % par rapport à 2021. L’offensive de Boko Haram en octobre 2024 près de la frontière nigériane, qui a coûté la vie à quarante soldats tchadiens, témoigne de l’audace croissante de ces factions.
Les ressorts d’une implosion
L’explosion démographique, la fragilité économique et l’échec de la gouvernance composent une trilogie fatale. Avec près de 80 % de la population vivant sous le seuil de pauvreté, le Sahel est l’une des régions les plus vulnérables au monde. La jeunesse y domine, avec des médianes d’âge comprises entre 15 et 19 ans. Cette surabondance d’une main-d’œuvre oisive alimente directement le réservoir de recrutement des groupes armés.
Les frontières poreuses facilitent la circulation des armes, consolidant les capacités logistiques des insurgés. De Sambisa au Nigeria à la forêt W-Arly-Pendjari (WAP), les enclaves naturelles fournissent des bastions inaccessibles aux forces gouvernementales.
Dans le même temps, les liens avec les réseaux terroristes mondiaux renforcent la sophistication des tactiques employées.
Une insécurité propice aux coups d’État
Depuis 2020, la valse des putschs militaires au Mali, au Burkina Faso et au Niger a fracturé les efforts collectifs de lutte contre le terrorisme. Ces régimes prioritaires sur leur propre survie politique n’accordent que peu de moyens à la reconquête des zones rurales. Dans ce vide, les groupes terroristes prospèrent et étendent leur emprise.
Scénarios pour demain
Le futur du Sahel oscille entre trois scénarios. Dans le pire des cas, l’expansion terroriste pourrait donner naissance d'un État terroriste transfrontalier, une base pour des attaques au-delà du continent.
En revanche, une mobilisation coordonnée pourrait renverser la vapeur. La CEDEAO, bien qu’entravée par des budgets limités, préconise un investissement annuel de 2,6 milliards de dollars pour ses opérations. En promouvant des initiatives communautaires et des investissements stratégiques, la région pourrait exploiter son potentiel énergétique et naturel.
Dans cette quête de résilience, l’avenir du Sahel reste suspendu à un fragile équilibre, oscillant entre l’abîme et la renaissance.
Olivier d’Auzon