Sanctions et alliances : Le dilemme économique de la Chine face à la guerre en Ukraine
Les relations entre Washington et Pékin se sont tendues, exacerbées par la guerre en Ukraine et le soutien présumé de la Chine à l'industrie de défense russe.
Le commerce sino-russe, longtemps une coopération stratégique, se retrouve désormais sous surveillance mondiale, avec de lourdes répercussions économiques et politiques pour Pékin.
Les sanctions américaines mettent bel et bien la Chine dans une position délicate, contraignant Pékin à jongler entre ses intérêts économiques, géopolitiques et sa gestion de ses relations avec Moscou.
Un commerce sous haute surveillance
Depuis le démarrage de la guerre en Ukraine en février 2022, la Chine est devenue un acteur majeur pour la Russie, en particulier quant à la fourniture de biens critiques utilisés dans l'effort de guerre russe.
En dépit de la neutralité affichée par Pékin, les États-Unis ont mis en lumière le rôle crucial de la Chine dans le prolongement du conflit, soulignant que de nombreux produits essentiels, notamment des machines-outils et des microélectroniques, sont exportés de Chine vers la Russie.
Selon Antony Blinken, secrétaire d’État américain, environ 70 % des machines-outils et 90 % des microélectroniques importées par la Russie proviennent de Chine. Ces biens à double usage sont utilisés tant pour des applications civiles que militaires, et jouent un rôle central dans la production d'armements, tels que des missiles et des tanks.
Pékin persiste dans sa défense d'une coopération qu'il qualifie de «normale »
Face à ces accusations, Pékin persiste dans sa défense d'une coopération qu'il qualifie de « normale » et « non dirigée contre des tiers ». Pour la Chine, le soutien économique à la Russie s’inscrit dans un partenariat stratégique visant à contrer l'influence croissante de l'Occident, en particulier des États-Unis.
Cette posture attire la colère de Washington, qui voit dans cette relation un facteur déterminant de prolongation du conflit ukrainien
Pour autant cette posture attire la colère de Washington, qui voit dans cette relation un facteur déterminant de prolongation du conflit ukrainien. En effet, les États-Unis accusent la Chine de contribuer indirectement à l’effort de guerre russe, sapant ainsi les efforts diplomatiques internationaux pour mettre fin à la guerre.
La pression américaine : une réponse diplomatique et économique
Les États-Unis n'ont pas tardé à réagir face à cette coopération croissante. Dès le début de l'invasion, Washington a intensifié ses sanctions contre la Russie, tout en mettant sous pression la Chine pour qu’elle cesse son soutien à Moscou.
En 2024, de nouvelles sanctions ont été annoncées, visant non seulement des entreprises russes, mais aussi des entités chinoises impliquées dans la fourniture de biens à double usage à la Russie.
Le conseiller à la sécurité nationale américain, Jake Sullivan, a précisé lors du Forum sur la sécurité d’Aspen, en décembre 2024, que certaines banques chinoises facilitaient des transactions problématiques, ce qui pourrait entraîner de nouvelles sanctions visant des institutions financières chinoises.
Washington met en avant la nécessité de couper les chaînes d'approvisionnement militaires et d'empêcher toute assistance indirecte à la Russie, notamment à travers des banques ou des entreprises facilitant ces transactions.
Cela crée un dilemme pour Pékin.
D'une part, la Russie est un allié stratégique essentiel, surtout dans le contexte de la guerre en Ukraine, qui a renforcé les tensions entre les grandes puissances mondiales.
D'autre part, les sanctions américaines pourraient fragiliser l'économie chinoise, en particulier son secteur bancaire.
La Chine fait face à une pression croissante pour préserver ses relations commerciales avec Moscou tout en évitant une confrontation directe avec Washington, qui pourrait affecter gravement ses secteurs économiques.
Une coopération « normale » sous surveillance
Malgré les sanctions et les accusations, la Chine persiste dans sa position. Le porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, Mao Ning, a défendu les relations sino-russes, soulignant qu’elles ne sont « dirigées contre aucun autre pays ».
Pékin rejette catégoriquement les sanctions unilatérales et insiste sur son droit à mener des échanges commerciaux « normaux » avec la Russie. La Chine, fidèle à sa politique de non-ingérence, qualifie les pressions américaines de tentatives de manipulation géopolitique.
Dans les médias chinois, des voix critiques se multiplient, accusant les États-Unis de mener une guerre économique contre Pékin et de nuire à la coopération internationale.
Certains analystes chinois rappellent que l'Occident, en particulier les États-Unis, a longtemps fourni des composants militaires à la Russie avant la guerre en Ukraine. Selon eux, ces accusations contre la Chine sont hypocrites, car elles omettent l’histoire des relations économiques entre la Russie et les pays occidentaux.
Les conséquences des sanctions : un impact sur l'économie chinoise
Les sanctions ont déjà eu des effets visibles sur le commerce entre la Chine et la Russie. Bien que les exportations chinoises vers la Russie aient augmenté de 46,9 % en 2023, atteignant un montant record de 111 milliards de dollars, la tendance s'est inversée en 2024.
Les exportations n'ont progressé que de 1,5 % au premier trimestre et ont même diminué de 3,4 % au second trimestre. Ce ralentissement est largement attribué aux sanctions américaines, à la surveillance accrue des transactions et à l’isolement progressif de certaines institutions financières russes et chinoises.
La Chine se trouve face à un dilemme économique majeur. D'un côté, elle a intérêt à maintenir de solides relations commerciales avec la Russie, un partenaire stratégique dans la lutte contre l'hégémonie américaine.
La Chine se trouve donc face à un dilemme économique majeur. D'un côté, elle a intérêt à maintenir de solides relations commerciales avec la Russie, un partenaire stratégique dans la lutte contre l'hégémonie américaine.
De l'autre, elle doit éviter d’aggraver ses relations avec les États-Unis, car cela pourrait nuire à sa stabilité économique, particulièrement dans les secteurs financiers et bancaires.
Le dilemme de Pékin réside dans sa capacité à maintenir un équilibre entre ces deux pressions contradictoires.
Les sanctions économiques et les tensions croissantes entre les États-Unis et la Chine soulignent les enjeux géopolitiques majeurs en jeu. Pékin est conscient qu'une rupture totale avec Moscou pourrait affaiblir sa position stratégique contre l'Occident, mais un soutien trop manifeste à la Russie pourrait entraîner des représailles économiques sévères. Le dilemme de Pékin réside dans sa capacité à maintenir un équilibre entre ces deux pressions contradictoires.
Pour autant, la pression croissante de Washington contre la Chine pourrait aussi être perçue comme une tactique pour renforcer la position des États-Unis dans les négociations géopolitiques futures, notamment avec l’Asie-Pacifique.
Conclusion
La guerre en Ukraine a mis en lumière les fragilités et les contradictions des relations sino-russes, tout en plaçant la Chine dans une situation délicate. Alors que Pékin cherche à maintenir des relations « normales » avec Moscou, les sanctions américaines risquent de compliquer cette coopération, mettant en péril la stabilité économique de la Chine.
Face à cette situation complexe, Pékin devra naviguer habilement entre ses alliances stratégiques, son rôle économique mondial et les pressions géopolitiques croissantes, tout en cherchant à éviter une confrontation directe avec Washington.