La souveraineté énergétique française en question
En ce début d’année 2023, la France est redevenue, pour la première fois depuis des mois, exportatrice nette d’électricité.
A la bonne heure ! Cette performance est la conséquence notamment d’un hiver particulièrement doux et surtout des efforts d’EDF pour relancer en urgence le maximum des réacteurs nucléaires.
Mais que de temps et d’argent perdu ! La faute à de responsables politiques qui se refusent encore, pour des raisons souvent idéologiques, d’être des stratèges au lieu de toujours se complaire dans celui de gestionnaires à courte vue…
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021) et Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)
« Nucléaire », un mot qui fait peur. C’est pour cela qu’il faut bien distinguer les deux histoires du nucléaire : celle de l’arme et celle de l’énergie.
Après les bombardements nucléaires de Hiroshima et Nagasaki en 1945 – qui mirent fin à la Seconde guerre mondiale – par les États-Unis (premier et unique pays à ce jour à avoir utiliser cette arme lors d’un conflit), l’humanité est entrée, avec cette nouvelle capacité à s’autodétruire, dans une nouvelle ère.
Les Américains ont donc été les premiers à maîtriser cette nouvelle arme cataclysmique avant les Nazis. C’était, dès 1939 et jusqu’en 1943 à Los Alamos, le projet Manhattan, sous la direction du général Groves et du physicien Robert Oppenheimer. En France, c’est le général de Gaulle qui crée le CEA dès 1945 afin d’acquérir d’abord une indépendance stratégique puis énergétique, nous y reviendrons.
Durant la deuxième partie du XXe siècle, pendant la Guerre froide, le conflit nucléaire mondial sera – à juste titre – la grande peur. C’est lors de cette période que « l’armement atomique » va se développer avec de nouvelles bombes et de nouveaux vecteurs pour les Américains, les Soviétiques, les Britanniques, les Français, les Chinois, les Israéliens puis plus tard, les Indiens et les Pakistanais. À la chute de l’URSS, dans les années 1990, la nouvelle et grande inquiétude sera celle de la prolifération, aujourd’hui relativement contenue par divers traités internationaux, même si l’acquisition éventuelle – ou effective – de cette arme par des États dits « voyous » (Iran ou Corée du Nord) pose encore problème.
Quoi qu’il en soit, en dépit de plusieurs débats et polémiques, dans le domaine militaire, l’arme nucléaire est qualifiée de « dissuasive » et de « non d’emploi ». Force est de constater que jusqu’à ce jour et aussi paradoxal que cela puisse paraître, elle a finalement garanti la paix et l’impossibilité d’un conflit ouvert et catastrophique entre les grandes puissances.
De même, depuis soixante-quinze ans, le nucléaire est toujours là et c’est à présent la dégradation écologique accélérée par les progrès technologiques qui menace plutôt la planète !
Diabolique pour certains, prodigieuse pour d’autres, l’histoire scientifique de l’atome débute à la fin de XIXe siècle (avec la découverte de la radioactivité par Poincaré, Becquerel, Marie et Pierre Curie), se poursuit au XXe siècle (Bohr et Fermi) et encore aujourd’hui. Ces recherches qui conduisent à la maîtrise de la fission nucléaire (mais toujours pas à la fusion), vont certes amener à l’arme la plus dévastatrice de l’histoire humaine mais également à de grandes avancées, notamment dans le domaine médical, et surtout au développement d’une nouvelle énergie nécessitant de l’uranium.
Un enjeu stratégique majeur pour la France
Sur le plan militaire, la France, sous l’impulsion du général de Gaulle, se dote de l’arme nucléaire au début des années 1960. Outil essentiel de son indépendance (à nuancer mais c’est un autre débat) et de sa doctrine stratégique de dissuasion, cette force de frappe permet à la France de peser et se maintenir - encore aujourd’hui comme membre permanent - aux côtés des États-Unis, de la Russie, de la Grande-Bretagne et de la Chine au Conseil de sécurité de l’ONU.
Au sein de l’Union européenne, notamment depuis le Brexit, la France demeure la seule puissance nucléaire de l’Europe.
Sur le plan énergétique, c’est après le premier choc pétrolier de 1973 – afin de pallier une trop forte dépendance du pétrole moyen-oriental – que le Président Pompidou et son Premier ministre, Pierre Messmer, lancent le grand plan d’électricité nucléaire avec EDF, le CEA puis la COGEMA et Framatome.
Aujourd’hui, la France produit son électricité à 75 % à partir du nucléaire. Ce qui en fait donc l’un des pays d’Europe (voire du monde, ou du moins parmi les pays développés) qui rejette le moins de CO2, avec une énergie « décarbonée » à 95 % !
Pour des raisons moins scientifiques que politiques, des gouvernements de gauche, prisonniers de leurs alliances avec des écologistes hors-sol et souvent fanatiques mais ultra-minoritaires, ont décidé de réduire la part du nucléaire à 50 %. L’argument souvent évoqué – et pour le mois légitime – est le risque d’accident. Or, dans l’histoire du nucléaire civil, il n’y en a eu que 3 : Three Mile Island aux États-Unis en 1979, Tchernobyl en URSS – en Ukraine précisément – en 1986 et Fukushima au Japon en 2011. Mais seul le premier est véritablement un « accident nucléaire ». Les suivants ont été causés par l’impéritie de la bureaucratie communiste pour Tchernobyl, un séisme et surtout un tsunami pour Fukushima.
Bien évidemment, l’avenir de la planète dépend des énergies décarbonées (et donc pour l’instant du nucléaire y compris) et, lorsque cela sera possible, entièrement renouvelables.
Pour l’heure, la logique voudrait donc que la priorité écologique de la recherche scientifique dans ce domaine soit l’élimination ou le recyclage des déchets nucléaires. En attendant que les énergies renouvelables soient compétitives et que les futures technologies nous permettent de stocker durablement l’énergie solaire ou, de manière sécure, celle de l’hydrogène, l’objectif le plus logique et le plus raisonnable doit être dans un premier temps la réduction du charbon, des schistes bitumineux, des pétroles et plus tard, du gaz.
Aujourd’hui, il est malheureusement impossible de sortir du nucléaire sans relancer le charbon et donc la production de CO2 : l’exemple allemand le confirme.
C’est pourquoi la réduction de 75% à 50% de la part du nucléaire dans notre électricité fut une absurdité.
Pourtant, Emmanuel Macron, durant tout son premier mandat, a défendu cette idée, dans la même logique partisane et électorale de la gauche – d’où il vient, ne l’oublions pas – et pour donner des gages à ses potentiels alliés que sont les Verts. Il a même porté une écologie sans nucléaire – bien que la neutralité carbone soit inatteignable en 2050 sans y recourir. Il a également fermé Fessenheim, arrêté le projet Astrid et avait prévu d’arrêter 14 réacteurs nucléaires d’ici 2035.
Or, durant sa campagne électorale pour son second mandat, le Président/candidat entreprit un (énième) revirement salvateur dans ce domaine sensible, lié à l’indépendance et à la souveraineté énergétique française. Alors pourquoi ce revirement ? Crise énergétique du gaz en Europe (déjà effective depuis deux ans), calcul électoral du Président-candidat en vue de la présidentielle, privilégiant opportunément certains lobbies puissants aux dépens d’une poigné d’hurluberlus écologistes pesant de moins en moins dans les sondages ? Nul ne le sait encore.
Quoi qu’il en soit, avec la guerre en Ukraine et les sanctions suicidaires votées contre la Russie (et notamment sur ses exportations de gaz si vitales pour l’Europe) par la France aux côtés de ses partenaires européens, la crise énergétique sur le continent s’est gravement accentuée.
L’urgence pour Paris a donc consisté à relancer la production de l’électricité en France. Et dans cette perspective, de remettre donc en marche, au plus vite, les centrales nucléaires.
Si en ce début d’année 2023, la France est enfin redevenue, pour la première fois depuis des mois, exportatrice nette d’électricité, notamment grâce à un hiver particulièrement doux et surtout, comme on l’a dit, à ses efforts pour rebrancher les réacteurs nucléaires à l’arrêt jusqu’ici, on ne peut que regretter le temps perdu et surtout l’argent gaspillé par Paris.
Car, comme le rappelle justement l'ancien patron de GDF et du groupe pétrolier Elf, Loïc Le Floch-Prigent, « on a fait de l’anti-nucléaire systématique et à chaque fois qu'on a pris de telles précautions inutiles on a mis en danger notre électricité ».
De plus, pour pallier les pénuries de ces derniers mois, la France a été forcée d’acheter de nombreuses quantités d'énergie à un prix très élevé. Car les prix de l’électricité ont été alignés sur celui du gaz afin de satisfaire l’UE et surtout l’Allemagne !
Afin de se débarrasser de cette électricité trop chère, Loïc Le Floch-Prigent a clairement plaidé pour une sortie du marché énergétique européen à l’instar du Portugal et de l'Espagne. En effet, les Portugais et les Espagnols sont à 115 euros le mégawattheure ! Ils ont d’ailleurs demandé la prolongation de cette exception ibérique jusqu’en 2024. L'Allemagne, elle, a débloqué 200 milliards pour aider ses entreprises. Quant à la France, le Gouvernement avait dernièrement annoncé triomphalement un tarif à 238 euros !
Le Président Macron devrait enfin comprendre que dans le domaine énergétique comme dans tant d’autres, ses décalages déconcertants et permanents entre discours et réalité, son « en même temps » pour tout et sur tout, son européisme forcené et sa soumission idéologique et aveugle à la Commission européenne, ne sont pas dans l’intérêt des Français et de la souveraineté énergétique ou autre de la France. Mais de toute évidence, il est déjà trop tard et en politique, il ne faut pas trop se bercer d’illusion…