Les Kurdes de France, de l'immigration à l'action politique
L'attaque ayant ciblé récemment le centre culturel kurde Ahmet Kaya à Paris a déstabiliser la communauté kurde française.
Il y a 10 ans trois militantes kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) étaient assasinées dans ce même quartier, le 9 janvier 2013. Dès les minutes qui ont suivi les tirs du 23 décembre, des membres du centre culturel kurde ont crié : "Cela recommence, vous ne nous protégez pas, ils nous tuent !", en s'adressant à la police présente sur place.
"Si l'implication" de membres des services secrets turcs derrière l'assassinat des trois militantes en 2013 avait mené vers la piste d'un assassinat politique, la motivation raciste a été privilégiée pour l'attaque du 23 décembre", a écrit TV5 Monde.
Les premières racines...
Peuple sans État, à cheval sur 4 pays (la Turquie, l'Iran, l'Irak et la Syrie), cible de persécutions, les Kurdes, ont dû trouver refuge dans plusieurs régions du monde. États-Unis, Europe du Nord, Allemagne, la France a été une destination pour une partie d'entre eux.
Aujourd'hui, il y aurait environ 150 000 personnes kurdes en France (dont la grande majorité vient de Turquie) sur une population de 25 à 35 millions dans le monde. Les Kurdes constituent ainsi le plus grand peuple apatride au monde.
Pourquoi les Kurdes ne disposent-ils pas d'un État ?
L'effondrement de l'Empire ottoman à l'issue de la Première Guerre mondiale avait ouvert la voie à la création d'un État kurde, prévue par le traité de Sèvres en 1920, situé dans l'est de l'Anatolie et dans la province de Mossoul.
Mais après la victoire de Mustafa Kemal en Turquie, les Alliés sont revenus sur leur décision et, en 1923, le traité de Lausanne a consacré la domination de la Turquie, de l'Iran, de la Grande-Bretagne (pour l'Irak) et de la France (pour la Syrie) sur les populations kurdes.
Revendiquant tout de même la création d'un Kurdistan unifié, les Kurdes sont perçus comme une menace pour l'intégrité territoriale des pays où ils sont installés.
Selon l'institut kurde de Paris, la première vague de migration kurde arrive en France après 1965, favorisée par les accords bilatéraux de main-d'oeuvre entre Paris et Ankara. Il s'agit alors d'une immigration ouvrière. Les Kurdes d'Irak ou de Syrie arrivent plutôt dans les années 1970 et sont plus politisés, cherchant un accueil en France pour leurs idées et engagements politiques.
Plus tard, la révolution islamique en Iran (1979), le coup d’état militaire en Turquie (1980), ou encore la guerre Iran-Irak dans les années 80 ont causé l’exil de milliers de familles kurdes notamment vers l’Europe et la France. En Turquie, la répression envers le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) qui revendique la souveraineté du Kurdistan, s’intensifie à cette période, poussant ce peuple à l’exil. L’identité kurde s’affirme alors plus, notamment à l'étranger.
"L’arrivée de Recep Tayyip Erdoğan au pouvoir en Turquie (d’abord Premier ministre en 2003 puis président en 2014) s'accompagne d'une traque quasi systématique des opposant du PKK en Turquie mais aussi à l’étranger, selon TV5 MONDE.
Rempart contre Daech
L'accueil de réfugiés politiques kurdes est l’un des grands points de désaccords entre l'Europe et Ankara. Le 16 mai 2022, le président turc Recep Tayyip Erdoğan annonçait mettre son veto à l’adhésion de la Suède et de la Finlande à l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN) en ces termes:
« Comment pouvons-nous leur faire confiance ? […] Aucun de ces pays n’a une attitude claire et ouverte envers les organisations terroristes. Ils font entrer des terroristes dans leur Parlement et les laissent parler ».
La France, elle, n'a jamais cachée son amitié avec le Kurdistan. En 2010, le ministre des Affaires étrangères Bernard Kouchner accueillait Massoud Barzani, alors président de la région autonome du Kurdistan irakien, à Paris. Une convention destinée à accroître la coopération entre les deux parties étaient mêmes à l'étude.
Le rôle décisif dans la lutte contre l'État islamique des Kurdes a par la suite renforcé la relation entre la France et les Kurdes. En Syrie, la milice kurde des Unités de protection du peuple (YPG) a été dès 2014 l'une des principales forces combattant le groupe Daech avec l'appui aérien de la coalition internationale.
Début 2015, les forces kurdes soutenues par la coalition ont chassé l'EI de Kobané, proche de la frontière turque. Les Forces démocratiques syriennes (FDS), composées de 25 000 Kurdes et 5 000 Arabes, dominées par les YPG, reçoivent, elles une aide conséquente de Washington. Les FDS vont jusqu'à chasser daech de son fief de Raqqa, puis s'emparer en mars 2019 de son ultime bastion syrien, Baghouz.
Sur place, les forces spéciales françaises collaborent alors étroitement avec les unités de combat kurdes, souvent considérées par la Turquie comme dépendantes directement du PKK. De son côté, la France a longtemps accusé la Turquie de complicité avec des groupes djihadistes dans la région.
Un nationalisme turc excessif...
Au-delà des tensions diplomatiques entre les deux pays, des actions de haine dirigées envers les Kurdes sont aussi observées sur le territoire français. En avril 2021, quatre hommes d'origine kurde ont été attaqués à coups de barre de fer dans un local associatif de Lyon, au cours d'une action que les victimes imputent au groupe ultranationaliste turc des Loups Gris. Dissous en 2020 par le gouvernement français, le mouvement des Loups Gris était connu pour ses incitations "à la discrimination et à la haine".
Le 9 janvier 2013, c'est trois militantes kurdes qui sont assassinées en plein Paris : Sakine Cansiz, cofondatrice du PKK, qui bénéficiait de l’asile politique, Fidan Dogan représentante du Congrès national du Kurdistan et Leyla Söylemez qui, venue d’Allemagne, séjournait depuis peu en France. L’enquête judiciaire en France est toujours en cours.
Le suspect présumé, Omer Güney, écroué pour "assassinats en relation avec une entreprise terroriste" est mort à Paris, en 2016, atteint d'une tumeur au cerveau. Son décès est arrivé cinq semaines seulement avant le début de son procès devant la Cour d'assises spéciale. L'enquête n'avait pas réussi à établir qui étaient les commanditaires de ce triple assassinat.
L’attentat du vendredi 23 décembre 2022 contre le centre culturel kurde survient alors dans un contexte trouble en France. Le jour de l'attaque, le Conseil Démocratique Kurde en France (CDK-F) a condamné "avec virulence cette attaque terroriste (sic) infâme qui intervient suite à de multiples menaces proférées par la Turquie", bien que l'attaque semble être motivée cette fois par une idéologie raciste et suprémaciste.
Le suspect a “voulu s’en prendre à des étrangers” et a “manifestement agi seul”, selon le ministre français de l’Interieur, Gérald Darmanin. "Il n'est pas sûr que le tueur qui a voulu assassiner ces personnes (...) l'ait fait spécifiquement pour les Kurdes", a-t-il souligné.
Le rejet kurde...
« Cessez de nous demander de croire à cette version » : la communauté kurde refuse d’accepter que l’attaque qui a tué trois de ses membres à Paris relève du crime raciste d’un homme isolé et continue d’y voir la main de la Turquie., rapporte l'Ardennais.
« Le régime fasciste d’Erdogan a encore frappé », a martelé lundi au mégaphone Agit Polat, le jeune président du Conseil démocratique kurde en France (CDK-F) lors d’une marche organisée à Paris en mémoire des victimes.
La Turquie réagit...
« Pour nous, c’est évident, il (le tireur présumé de vendredi, ndlr) n’a pas pu agir seul, il y a un lien avec la Turquie », affirme un participant à la marche, Denis « malheureusement » Erdogan, qui regrette de partager le même patronyme que celui du président turc Recep Tayyip Erdogan.
Le gouvernement turc n’a guère apprécié les accusations de la communauté kurde de France.
Trois jours après l’attaque, il a convoqué l’ambassadeur de France en Turquie pour exprimer son « mécontentement » face à ce qu’il considère comme de la « propagande anti-Turquie » lancée « par les cercles du PKK », selon une source diplomatique turque. Le PKK est considéré comme un mouvement terroriste par Ankara et l’Union européenne (UE).
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— AlAin Français (@AlainFrNews) December 27, 2022