L’offensive terrifiante des juntes sahéliennes contre les compagnies minières
Au cœur du Sahel, cet éternel territoire d’intrigues et de conflits, les nouveaux maîtres militaires semblent bien avoir fait leur choix : prendre les rênes de leurs richesses naturelles, au prix d’une confrontation brutale avec les multinationales.
Une épopée âpre et incandescente où l’or et l’uranium deviennent les clés d’un destin réécrit par la force, relatent Aanu Adeoye et Camilla Hodgson, pour The Financial Times de Londres, le 14 janvier 2025.
Dans les bureaux des directeurs exécutifs de Barrick Gold, Resolute Mining ou Orano, la tension est palpable. Les mines d’or maliennes et burkinabés, les réserves d’uranium nigériennes, naguère exploitées sous le sceau de contrats internationaux, deviennent aujourd’hui des champs de bataille d’un nouveau genre.
À coups de mandats d’arrêt, de révisions légales et de nationalisations, les régimes militaires qui se sont emparés du pouvoir entre 2020 et 2023 imposent leur volonté : cette richesse appartient à la nation, et non plus aux multinationales.
Le réveil des régimes militaires
Le Sahel, vaste étendue semi-aride où la pauvreté côtoie l’abondance minérale, est le théâtre d’un bouleversement que les anciens colons n’auraient jamais imaginé. Les juntes au pouvoir au Mali, au Burkina Faso et au Niger ont déclaré la fin de ce qu’ils appellent « la mainmise occidentale ».
Le Mali, par exemple, a suspendu les opérations de Barrick Gold après avoir saisi de l’or extrait dans ses mines. Mark Bristow, le PDG de l’entreprise canadienne, s’est retrouvé avec un mandat d’arrêt au-dessus de la tête. Dans le même temps, Resolute Mining a vu son directeur général, Terence Holohan, emprisonné pendant deux semaines.
Au Niger, c’est le géant français Orano qui est sur la sellette. Le gouvernement a révoqué les droits miniers d’une des plus grandes réserves mondiales d’uranium. Quant au Burkina Faso, son dirigeant militaire, Ibrahim Traoré, a sèchement déclaré en octobre :« Nous savons comment extraire notre or. Pourquoi devrions-nous laisser des multinationales le faire à notre place ? »
Une stratégie nationale ou un pari risqué ?
Derrière ce mouvement nationaliste se cache une stratégie mêlant pragmatisme économique et posture idéologique. Les nouvelles autorités affirment vouloir rétablir une souveraineté perdue après des décennies de contrats jugés déséquilibrés. Les lois minières sont réécrites, les taxes augmentées, et des parts plus importantes dans les projets miniers sont réclamées.
Pourtant, cette approche, bien que justifiée par un discours de justice nationale, s’accompagne de méthodes brutales. « C’est terrifiant de traiter avec le régime malien », confie sous couvert d’anonymat un négociateur occidental. « Ils construisent des dossiers arbitraires contre les entreprises pour forcer des négociations et menacent d’arrestations. »
Au-delà des revendications, c’est une guerre de nerfs qui se joue. Des pays comme le Mali ou le Niger, frappés par des décennies de pauvreté et d’insurrections djihadistes, voient dans ces ressources minérales une issue pour remplir leurs caisses vides. Mais les entreprises étrangères, elles, hésitent à investir davantage dans des terres où les contrats ne semblent plus valables du jour au lendemain.
Entre Moscou et Pékin, un réalignement géopolitique
Ce qui se dessine dans les sables mouvants du Sahel dépasse les seules frontières économiques. En rompant avec l’ancienne puissance coloniale française, les juntes se tournent vers d’autres alliés : Moscou et Pékin.
Au Mali, des mercenaires russes du groupe Wagner, désormais rebaptisé, épaulent l’armée locale. Pendant ce temps, la Chine ne cache pas son appétit. Ganfeng Lithium, son plus grand producteur de lithium, a ouvert une mine dans le sud du Mali. Le président de la junte malienne, Assimi Goïta, a salué la Chine comme un « partenaire stratégique et sincère ».
Pour la France, la rupture est complète. Au Niger, les soldats français ont été expulsés et les contrats miniers annulés. Orano, dont l’État français est le principal actionnaire, a perdu l’accès à l’une de ses plus riches mines d’uranium.
L’avenir d’une industrie sous pression
Malgré ces tensions, les entreprises minières semblent prêtes à endurer ces défis. « Ces régimes cherchent des revenus supplémentaires, pas à expulser les compagnies étrangères », analyse Mucahid Durmaz, expert chez Verisk Maplecroft. Mais pour survivre dans cet environnement, il faudra s’adapter aux nouvelles règles du jeu.
Dans la lumière dorée des déserts sahéliens, une vérité se dessine : l’histoire ne cesse de se réécrire, même dans ses pages les plus tumultueuses. Ici, au cœur du Sahel, les richesses du sous-sol façonnent non seulement les destins des nations, mais aussi celui des empires.