Le Piège du détroit de Bab al-Mandeb : Une mer en souffrance
Les vents de l’histoire soufflent sur détroit de Bab al-Mandeb
Les vents soufflaient fort ce jour-là sur les eaux du détroit de Bab al-Mandeb. Le passage étroit, où la mer Rouge se fraie un chemin vers l’océan Indien, portait la marque des marins et des marchands.
Mais depuis plusieurs mois, ces vagues-là n’étaient plus simplement l’élément des voyageurs. Elles étaient devenues le théâtre d’une guerre sourde, implacable.
Au loin, les bruits des moteurs des navires se mêlaient aux échos d’un conflit dont l’Europe, dans sa sagesse feutrée, avait choisi de détourner les yeux.
C’est ainsi que l’Opération Aspides naquit, une mission maritime censée ramener un semblant de calme, mais dont la portée semblait aussi fragile que l’écume sur la mer agitée.
L’Opération Aspides : Un bouclier fragile
La mer, pourtant, n’a pas de mémoire. Mais les hommes, eux, n’oublient jamais. Le détroit de Bab al-Mandeb, sous le regard des nations, demeure un verrou stratégique.
Le passage par lequel transitent des milliers de tonnes de biens, le dernier maillon entre l’Asie et l’Europe, entre l’Est et l’Ouest. Il fallait protéger ce flux vital.
Et c’est ainsi qu’une armée d’hommes en uniforme, vêtus de la rigueur européenne, se glissa dans le théâtre, comme on joue une partition qu’on ne maîtrise pas tout à fait.
Depuis février 2024, l’Opération Aspides veillait sur les flots, un peu comme un chevalier solitaire surveillant une frontière perdue.
Son objectif était simple : protéger les navires commerciaux des attaques des Houthis. Mais, comme souvent dans l’histoire, la simplicité de la mission cachait la profondeur des enjeux.
Les Houthis : La force d’un Yémen dévasté
Les Houthis, ou Ansar Allah, n’étaient pas de simples brigands des mers. Non, ils étaient les enfants d’un Yémen dévasté, un Yémen dont les fragiles côtes ont été laissées à la merci des vagues et des armes.
Leurs attaques contre les navires ne faisaient pas que viser les marchandises. Elles visaient les ambitions, les équilibres. Chaque missile balistique qui déchirait l’air portait en lui une promesse : celle de perturber l’ordre mondial, d’envoyer un message clair à Israël et aux puissances occidentales.
Et chaque expédition navale, chaque opération de surveillance européenne, n’était qu’un épisode d’une lutte qui se déroulait à l’ombre de l’histoire, là où la diplomatie échouait à faire entendre sa voix.
L’Europe face à l’incertitude : Une protection illusoire ?
En mer, les chiffres sont durs comme la roche. Plus de 22 000 navires franchissent chaque année le détroit de Bab al-Mandeb. Un flux ininterrompu de marchandises, de richesses et de vies.
L’opération Aspides, avec ses maigres patrouilles, tentait de préserver cette voie. Mais comment protéger une mer qui n’a pas de limites, quand le pouvoir de feu des Houthis s’intensifie, et que la menace iranienne se fait de plus en plus pesante ?
L’Opération Aspides se contentait de repousser les assauts. Des centaines de navires étaient escortés, mais la mer, elle, continuait à être prise en otage par une guerre à la fois invisible et omniprésente.
La mer, le véritable enjeu
L’Europe, figée dans sa posture diplomatique, avait pris la mesure du danger. Mais il y avait une ambiguïté qui n’échappait à personne. L’Opération Aspides n’était pas une solution. Elle n’était qu’une poignée de coquilles vides sur une mer trop vaste.
La mission se déployait sans jamais chercher à résoudre le fond du problème. Une mission de défense passive, éloignée des véritables causes, comme une vague qui se brise contre un rocher sans jamais pouvoir l’effleurer. La vérité, pourtant, était ailleurs.
Elle se trouvait dans le cœur du Yémen, au milieu des décombres et des camps de réfugiés, dans la capitale Sanaa où les Houthis régnaient. C’était là que le fil du drame se tissait, et non sur les ponts des navires battant pavillon européen.
Le mirage de la paix : Une solution politique nécessaire
La stratégie de l’Europe, comme un mirage, effleurait les contours d’une solution sans jamais la saisir. Les chiffres étaient là, froids, intransigeants. Mais ce n’étaient que des chiffres. Pas de solution véritable.
L’UE, avec sa politique de non-intervention, semblait se contenter d’une paix fragile, bâtie sur des patrouilles et des escadres. Mais la mer, elle, ne se laissait pas apprivoiser si facilement. En mars 2024, un cargo grec, le MV Sounion, fut attaqué, ses 150 000 tonnes de pétrole brutes englouties dans la tempête. La mer avait encore frappé.
Un conflit aux multiples facettes
Dans la brume de la guerre, la question qui se posait était simple, mais d’une grande portée : comment dominer une mer sans régner sur les terres qui la bordent ? Le détroit de Bab al-Mandel n’était qu’un des maillons d’une chaîne bien plus longue, une chaîne dont la fin se perdait dans les sables du Moyen-Orient, là où l’Iran, maître des marées, avait tissé ses liens avec les Houthis.
À chaque nouvelle attaque, l’impasse se dessinait plus nettement. L’Opération Aspides, dans sa grandeur, n’était qu’un sursis.
L’espoir d’une solution durable
Il y avait une autre voie. Elle était politique. Elle ne se mesurait pas en bateaux ni en soldats. Elle se construisait dans les salles de négociation, là où les destins se scellent. Il fallait, en effet, une paix durable.
Il fallait, dans le sillage des navires, une véritable solution pour le Yémen, une solution qui passe par la réconciliation et la reconstruction. L’UE avait peut-être oublié ce que savait chaque marin : la mer, aussi vaste soit-elle, n’est qu’un reflet des terres qu’elle borde.
Une mer prise en otage
En attendant, les hommes de l’Opération Aspides continuaient leur ronde, comme les derniers gardiens d’un monde en déclin. Mais, dans cette mer où tout semble possible, les vagues continuaient de se soulever, portées par les espoirs déçus et les rêves brisés. Le détroit de Bab al-Mandeb demeurait, comme un piège, une porte ouverte sur l’inconnu.
Sources :
Entretien avec un responsable gouvernemental yéménite, septembre 2024.
Entretien avec un diplomate européen, octobre 2024.
Rapport de l'Union européenne sur l'Opération Aspides, novembre 2024.
Olivier d’Auzon