Mauritanie : Quand la guerre économique entre Washington et Pékin gèle un contrat stratégique
Un contrat de 40 millions d’euros entre l’État mauritanien et le groupe chinois Poly Technologies pour l’acquisition de patrouilleurs militaires est aujourd’hui paralysé.
En cause : les sanctions imposées par Washington à l’entreprise chinoise, accusée de soutenir l’effort de guerre russe en Ukraine.
Ce blocage met en lumière les difficultés croissantes des pays africains à composer avec la rivalité entre les grandes puissances.
Un contrat gelé par les sanctions américaines
Selon Africa Intelligence, les sanctions américaines qui frappent Poly Technologies ont contraint la marine mauritanienne à suspendre son contrat avec le géant chinois. Cette commande, évaluée à 40 millions d’euros, devait permettre à la Mauritanie de renforcer sa flotte navale, notamment pour sécuriser ses ressources halieutiques et protéger les infrastructures offshore du projet gazier Grand Tortue Ahmeyim (GTA), exploité avec le Sénégal.
Le gel de cette transaction illustre la difficulté pour les États africains de diversifier leurs partenariats stratégiques en matière de défense sans risquer de subir les contrecoups de la politique de sanctions des puissances occidentales. De plus, cette suspension freine les efforts de modernisation des forces navales mauritaniennes, essentielles pour lutter contre la pêche illégale et garantir la souveraineté maritime du pays.
Conséquences économiques et sécuritaires
L’annulation de ce contrat pourrait impacter la capacité de la Mauritanie à sécuriser ses ressources naturelles en mer. Avec une zone économique exclusive riche en poissons et un potentiel gazier stratégique, le pays doit faire face à des menaces croissantes :
• Pêche illégale, souvent pratiquée par des flottes étrangères non déclarées.
• Menaces terroristes et piraterie, qui augmentent dans certaines zones du Golfe de Guinée.
• Protection des infrastructures énergétiques, notamment les installations offshore liées au projet GTA.
Sans nouveaux équipements adaptés, la marine mauritanienne risque de ne pas être en mesure d’assurer pleinement la surveillance de ses eaux territoriales, ce qui pourrait affecter les investisseurs internationaux et fragiliser l’économie du pays.
Vers de nouveaux fournisseurs ?
Face à cette impasse, la Mauritanie pourrait être contrainte de chercher d’autres fournisseurs pour moderniser sa flotte militaire. Parmi les options envisageables figurent :
• La France, via le constructeur naval Piriou, déjà actif en Afrique de l’Ouest et ayant fourni des navires à plusieurs marines régionales.
• L’Italie, avec le groupe Fincantieri, spécialiste de la construction navale militaire.
• La Turquie, qui a multiplié ses exportations d’équipements de défense vers l’Afrique ces dernières années.
• Les États-Unis, qui pourraient proposer une assistance militaire via leurs programmes de coopération en matière de sécurité, sous réserve d’accords diplomatiques spécifiques.
Toutefois, changer de fournisseur implique des délais supplémentaires et une révision des financements, un luxe que la Mauritanie ne peut se permettre à l’heure où la sécurisation de ses eaux territoriales devient une priorité.
Un dilemme géopolitique pour Nouakchott
Ce blocage met également en exergue la délicate posture de la Mauritanie sur l’échiquier géopolitique mondial. Historiquement proche de la Chine, notamment pour ses investissements massifs dans les infrastructures et les mines, Nouakchott pourrait être contraint de réajuster sa stratégie diplomatique pour éviter de nouvelles perturbations dans ses partenariats.
D’un côté, la Chine reste un acteur clé pour le développement économique du pays, notamment via des prêts et des investissements dans les infrastructures. De l’autre, la pression américaine contraint la Mauritanie à repenser ses choix stratégiques en matière de défense et de coopération sécuritaire.
Cette affaire témoigne ainsi d’une tendance plus large : à mesure que la rivalité sino-américaine s’intensifie, les États africains deviennent des terrains d’affrontement économique et stratégique, où chaque alliance comporte son lot de risques et d’opportunités.
Pour la Mauritanie, il s’agit désormais de naviguer prudemment entre ces grandes puissances afin de préserver ses intérêts sans se retrouver otage de tensions qui la dépassent.
Par Olivier d’Auzon