Normalisation des relations Israël-Arabie Saoudite : «Ça aura un impact considérable sur toute la région» (Expert)
En marge de l’assemblée générale des Nations unies, le Prince héritier Mohammed Ben Salmane a laissé entendre qu’une normalisation, encore impensable il y a quelques mois, entre Riyad et Tel Aviv était désormais possible.
Au micro d’Al-Ain, le spécialiste de la géopolitique israélienne Gil Mihaely revient sur les enjeux qui entourent cette normalisation.
«Chaque jour, nous nous rapprochons.» Au micro de Fox news, le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane (MBS) a déclaré que son pays se rapprochait progressivement de la normalisation des relations avec Israël.
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En effet, l’entretien avec le prince héritier a eu lieu alors que l'administration du président américain Joe Biden poursuit ses efforts pour établir des liens historiques entre ses deux principaux alliés au Moyen-Orient. Un changement de paradigme qui pourrait remodeler l’échiquier géopolitique du Moyen-Orient.
Les pourparlers de normalisation sont la pièce maîtresse des négociations complexes qui comprennent également d'éventuelles concessions israéliennes aux Palestiniens, ainsi que des discussions sur les garanties de sécurité américaines et l'aide nucléaire civile que Riyad a demandée.
Au cours de l'émission Special Report de Fox, Mohammed Ben Salmane a également déclaré que la question palestinienne était «très importante» pour Riyad.
«Nous devons résoudre cette question», a-t-il déclaré lorsqu'on lui a demandé ce qu'il faudrait faire pour obtenir un accord de normalisation.
À la lumière de ces dernières déclarations qui ne manqueront pas de faire couler de l’encre, Al-Ain a tendu son micro à Gil Mihaely, directeur de la rédaction de Causeur et spécialiste d’Israël et de sa politique extérieure.
Al-Ain: Selon-vous, la normalisation des relations entre Israël et l’Arabie saoudite est-elle envisageable à court ou moyen terme ?
Gil Mihaely : C’est une expression publique et officielle. Ce qui est clair, c’est que de manière informelle, cette normalisation existe bel et bien. Ce n’est plus un tabou, il y a des contacts. C’est comme pour les accords d’Abraham, on a levé le voile sur une situation qui existait déjà.
Ca ne veut pas dire qu’inaugurer une ambassade ce n’est rien, qu’ouvrir une ligne de vol direct ce n’est rien, que donner des visas ce n’est rien. Mais tout cela n’est pas apparu par magie. Avec l’Arabie saoudite, comme avec les précédents pays ayant normalisés leurs relations avec Israël, il y a déjà des liens, une réflexion commune, et des intérêts convergents depuis un certain temps.
Al-Ain: Quel impact aurait une telle normalisation pour la région?
Gil Mihaely : Ça aura un impact considérable sur toute la région. Au niveau symbolique, l’Arabie Saoudite, c’est le leader du monde sunnite, gardien des deux lieux saints les plus importants de l’Islam. Au niveau géopolitique, l’Arabie saoudite surtout dirigée par le Prince héritier est un pays avec une politique étrangère très active.
Cette paix serait un pas très important vers l’intégration quasi générale d’Israël dans la région. Ça sera presque aussi important que la paix avec l’Egypte en 1979.
Al-Ain: Mohammed Ben Salmane a également déclaré que si l'Iran obtenait une arme nucléaire, l'Arabie saoudite «devrait en obtenir une.» Comment réagissez-vous à ce positionnement ?
Gil Mihaely: Je comprends le raisonnement des Saoudiens. Ça fait très longtemps que l’argument contre la nucléarisation iranienne, c’est la prolifération régionale, et la course à l’armement. J’ai déjà lu que la Turquie aurait des plans de se nucléariser si Téhéran et Riyad s’armaient du feu nucléaire.
L’impact de la stratégie nucléaire iranienne sur la région, dépendra de sa stratégie s’ils obtiennent cette arme. Resteront-ils discrets sur le fait de posséder cette arme, ou défendront-ils publiquement le fait de l’avoir ? Cela aura un impact majeur sur la prolifération régionale : l’Iran nucléaire sera le début de la nucléarisation généralisée de la région. En sachant que le Pakistan est déjà nucléaire.
Ce n’est pas uniquement une question militaire et stratégique, ça va plus loin. Il y a des enjeux de prestige et de statut.
Al-Ain: À la lumière de ses dernières déclarations en marge de l’assemblée générale des Nations unies. Quel regard portez-vous sur la politique régionale de l’Arabie saoudite, depuis que le Prince Mohammed Ben Salmane est au pouvoir ?
Gil Mihaely: Son bilan se divise pour moi en deux séquences. Son arrivée au pouvoir et le début de son action politique. Cette première séquence me semble moyennement réfléchie et dont le bilan n’est pas terrible.
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Il y a toutefois une deuxième séquence. On voit dans celle-ci une multiplication d’initiatives cohérentes, à la fois à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
À l’intérieur, une ouverture maitrisée de la société, des investissements dans les énergies renouvelables dans une ère post-hydrocarbure. Et à l’extérieur, un réaménagement de l’alliance avec les Etats-Unis, une ouverture vis-à-vis de l’Iran et de la Chine, une détente avec le Qatar. Il y a un certain nombre d’initiatives qui forment un ensemble lisible et qui caractérise cette deuxième phase. Globalement, il me semble habile et efficace.