Vers la fin du pré carré français en Afrique ? (PARTIE 2)
Le mal est déjà fait et la France deviendra à terme irrémédiablement hors-jeu en Afrique… et ce n’est pas que la faute des Russes !
La semaine dernière, Roland Lombardi évoquait a récente tournée africaine d’Emmanuel Macron. Pour lui, celle-ci n’inversera aucunement la tendance actuelle quant à la perte d’influence croissante de Paris sur le continent.
Roland Lombardi est docteur en Histoire, géopolitologue et spécialiste du Moyen-Orient. Il est le rédacteur en chef du Dialogue. Ses derniers ouvrages : Poutine d’Arabie (VA Éditions, 2020), Sommes-nous arrivés à la fin de l’histoire ? (VA Éditions, 2021) et Abdel Fattah Al-Sissi, Le Bonaparte égyptien ? (VA Éditions, 2023)
L'hostilité russe envers les intérêts français en Afrique est le résultat en grande partie du fait que depuis 2013, nous n'avons cessé de mordre à maintes reprises les mains que les Russes nous tendaient sur le continent noir ou ailleurs... Ils étaient très demandeurs d'un rapprochement avec la France pour des raisons historiques mais surtout stratégiques (contre l'islam politique et le terrorisme dans la région) et nous aurions pu trouver de manière intelligente une sorte de gentlemen's agreement stratégique entre nos deux nations.
Rappelons quelques faits et quelques vérités : lors de l’intervention au Mali en 2013, ce sont les Russes qui nous ont aidé à transporter nos matériels et nos troupes avec leurs appareils de transport lourd, à un prix dérisoire, alors que les Américains nous demandaient un tarif exorbitant pour cette mission ! Le message des Russes était clair : « nous vous soutenons et appuyons au Mali car nous combattons les mêmes ennemis et vous faites la même chose que nous en Syrie, alors cessez de jouer contre nous au Moyen-Orient ». Que nenni, la France s’entêta à s’opposer à Moscou dans ce dossier et à vouloir mordicus la chute d’Assad.
Et un an après, François Hollande, déjà sous la pression américaine et européenne, votera même des sanctions contre la Russie pour l'affaire de Crimée, ruinant au passage des pans entiers de notre secteur agricole ! Par la suite, malgré les sanctions et les paroles françaises toujours hostiles, les services russes ont collaboré discrètement avec ceux des Français, en Libye pour soutenir le maréchal Haftar (après avoir réalisé notre erreur calamiteuse en Libye en 2011 et plus tard, notre soutien au gouvernement de Tripoli aux mains des Frères musulmans libyens !).
En Syrie, rappelons également le discours en grande pompe et officiel de Poutine, le premier chef d’État étranger à nous faire part de ses condoléances juste après les attentats de 2015 ; lorsque le président français décide alors d'envoyer notre porte-avion et nos forces spéciales pour frapper Daesh, Poutine déclare solennellement à la tv russe, en s’adressant personnellement au président français : « François, la Russie soutient totalement la France dans cette tragédie et je demande aux forces russes présentes en Syrie, d'accueillir les forces françaises comme des amies et des alliées et de les aider et de les soutenir du mieux possible ! ». Quelques mois plus tard, toujours dans le cadre de la crise ukrainienne, une nouvelle série de sanctions de la France est de nouveau votée contre Moscou !
Rappelons enfin que la France est toujours quasi aveugle concernant les jihadistes français encore présent en Syrie. Paris se refusant toujours et encore aujourd'hui (!) de reprendre langue avec le pouvoir d'Assad, alors que les Espagnols, les Italiens et les Allemands l'ont fait discrètement depuis 2014 !
Or, n’oublions jamais, qu’en dépit de ce mépris, de cette ingratitude et des affronts répétés des gouvernements français envers le Kremlin, toujours en Syrie, et ce jusqu'en février 2022 et l’invasion Russe de l’Ukraine puis la soumission pitoyable d’Emmanuel Macron sur l’OTAN (alors qu’il aurait pu jouer un rôle historique de médiateur), nos principales sources sérieuses à propos des français partis combattre avec Daesh ou Al-Qaïda étaient... les services Russes !
Ceci étant dit, on comprend que la patiente russe ait ses limites. En Afrique, ils n’ont par ailleurs fait que tirer sur l’ambulance française puisqu’il y a d’autres raisons peut-être bien plus profondes à ce rejet de la France. Et qui sont assurément beaucoup plus liées à la politique internationale désastreuse de Paris, à la déconnection du réel et à l’attitude de ses dirigeants depuis des années.
Macron, le dernier fossoyeur de l’influence française en Afrique ?
Comme je le répète souvent les relations internationales ne sont pas que des questions idéologiques ou de contrats commerciaux. C’est souvent une affaire d’image et de psychologie.
Et en effet, si l’arrogance énarco-technocratique, les opérations de com’ et le « charisme » d’Emmanuel Macron ont encore un certain effet chez ses quelques 25 % d’électeurs de l’ensemble du corps électoral, les centristes et les bobos citadins français, ils sont d’aucune efficacité voire sont même contre-productifs en Afrique comme ailleurs (il suffit de lire la presse internationale !).
De même, un Poutine ou un Xi Jinping ne se seraient jamais permis de déclarer que « l'homme africain n’était pas assez entré dans l'Histoire » (Sarkozy) ou pire, d’ironiser, sur le président burkinabè Kaboré « parti réparer la clim » (Macron en 2017) !
Par ailleurs et paradoxalement, les Africains ne méprisent rien de plus que ceux qui s’humilient ou s’auto-flagellent en permanence (« la colonisation est un crime contre l’humanité » Macron en 2017).
Et comme l’a expliqué dernièrement un conseiller du président gabonais Ali Bongo, « Il est temps d'en finir avec la figure du Français qui donne des leçons ». Nos concurrents chinois et russes ne s’embarrassent pas de leçons de morale (discours de la Baule de Mitterrand de 1990). D’autant que de nombreux dirigeants africains préfèrent, que cela nous plaise ou non, le modèle de gouvernance russe ou chinois au modèle occidental « en perte de valeurs » et miné par le « progressisme » et le wokisme. Dans des régions où l'identité, les traditions, la culture, l'histoire sont encore incontournables, il n’est pas étonnant que certains pays décident de s'éloigner de l’Occident et donc de la France… celle-ci est d’ailleurs devenue faible militairement, politiquement et économiquement. Elle ne fait plus rêver ni les élites ni la jeunesse du continent africain qui ont les yeux rivés sur les réseaux sociaux. L'Afrique est devenu un géant qui cherche des partenaires puissants et fiables. Et non des moralisateurs qui n’ont d’yeux que pour les droits de l’Homme, les droits LGBT ou la théorie du genre !
Comme le dit pertinemment le grand africaniste Bernard Lugan ( Histoire du Sahel, des origines à nos jours, 2023, Éditions du Rocher), les technocrates et les idéologues parisiens, alors que nos militaires avaient, eux, bien compris le réel du terrain, ont été, par idéologie, par refus de prendre en compte la géographie, les constantes ethniques séculaires – la fameuse ethno-histoire –, les grands responsables du formidable fiasco de la politique africaine française dont nous sommes témoins aujourd’hui.
Bref, comme le souligne l’ancien député Julien Aubert dans sa dernière chronique pour Le Dialogue,
« Marginalisée en Afrique, la France pourrait perdre son relais francophone et être condamnée à devenir un petit acteur régional. Quand les pays africains ouvriront les yeux et constateront que le mercantilisme chinois ou le soutien russe aux militaires ne peuvent suppléer une stratégie partenariale de long-terme, il sera trop tard. Si l’Afrique ne décolle pas économiquement, les côtes méditerranéennes seront rapidement submergées. Voilà pourquoi la France doit repenser ses objectifs géopolitiques et dans un univers mondial compliqué renouer des relations franches et respectueuses avec les pays d’Afrique en leur proposant un véritable accord de codéveloppement humain, tout en rééquilibrant sa relation russe ».
En attendant, Emmanuel Macron en partenaire fiable de l'Afrique, plus personne n'y croit. Et la fin de l’influence de la France sur ce continent n’est malheureusement et finalement – entres autres ! – que le symbole le plus criant du naufrage géostratégique français…