La Russie n’abandonne pas l’Afrique, mais elle avance désormais à tâtons
La présence russe au Sahel s’inscrivait dans un élan conquérant, une expansion méthodique où se mêlaient ambitions géopolitiques et pragmatisme stratégique. Pourtant, à l’aube de 2025, le vernis se fissure.
Après des succès éclatants, Moscou se heurte désormais aux limites de sa projection militaire en Afrique.
Entre revers militaires, tensions internes et bouleversements géopolitiques, la Russie ne se retire pas, mais réajuste son dispositif, naviguant entre improvisation et nécessité, soulignent John Lechner et Sergey Eledinov, pour Responsible Statecraft, le 31 janvier 2025.
Wagner, un colosse aux pieds d’argile
Wagner, ce fer de lance de l’influence russe en Afrique, vacille. En 2024, le groupe paramilitaire, naguère omnipotent, subit à Tinzaouaten un camouflet qui symbolise son essoufflement.
Cet échec est plus qu’une défaite tactique : il incarne la difficile mutation de Wagner après la mort de son fondateur, Yevgeny Prigozhin, en août 2023. Dépecée, intégrée de force au sein du ministère de la Défense russe, la milice peine à retrouver sa cohésion.
La conjoncture ne joue pas en sa faveur. En décembre, l’effondrement du régime syrien de Bachar El-Assad met en péril les positions russes en Méditerranée. Tartous et Khmeimim vacillent. Et pendant ce temps, en Ukraine, les fronts s’embrasent, détournant de précieuses ressources.
Pour le Kremlin, maintenir une présence robuste au Sahel devient un exercice d’équilibriste.
L’Afrique : un terrain de jeu ou une monnaie d’échange ?
Certains analystes y voient le début d’un repli russe sur le continent. Des sources évoquent même l’hypothèse d’un troc géopolitique : l’Afrique comme monnaie d’échange dans un hypothétique deal entre Moscou et Washington, notamment si Donald Trump revient au pouvoir.
Mais ce scénario n’est pas partagé par tous. À Moscou, des voix insistent : la Russie ne quitte pas l’Afrique, elle s’adapte. Selon les entretiens menés par John Lechner et Sergey Eledinov, l’idée d’une influence affirmée dans le Sud global demeure un pilier stratégique. L’Afrique, riche en ressources et en opportunités politiques, demeure une priorité.
L’ombre russe sur le Sahel : incertitudes et contradictions
Depuis son arrivée en Afrique, la Russie avance en ordre dispersé. Wagner a su se rendre indispensable en Centrafrique, mais l’expérience malienne est plus laborieuse. Les mercenaires se heurtent à un terrain où la guerre asymétrique rend les victoires éphémères. Coordination hasardeuse avec l’armée malienne, rivalités internes, manque de vision stratégique : les failles apparaissent.
Après la mort de Prigozhin, Moscou tente de rationaliser sa présence. Wagner cède progressivement la place à l’Africa Corps, une structure sous contrôle du ministère de la Défense. Mais la transition est chaotique. À Bamako, l’état-major russe impose ses vues tandis que les vétérans de Wagner refusent d’abdiquer leur autonomie. L’ambiguïté persiste.
Le spectre du repli ?
L’Ukraine, gouffre sans fond, siphonne les effectifs russes. Les unités africaines perdent leurs meilleurs éléments, rappelés en Europe. Népotisme, favoritisme, luttes d’influence minent ce qu’il reste de cohésion. L’embuscade de Tinzaouaten, où une centaine de combattants russes trouvent la mort, expose ces faiblesses au grand jour.
Face à cela, deux visions s’affrontent à Moscou. Les pragmatiques prônent un retrait partiel, une implication réduite à la formation et au soutien logistique des armées locales. D’autres, plus idéalistes ou plus cyniques, estiment que le Sahel reste un terrain d’influence à ne pas négliger.
Sur le terrain, les réactions divergent. Le Niger garde ses distances. Le Burkina Faso hésite. Le Mali, lui, reste fidèle à Moscou, recevant chars et blindés pour asseoir son régime.
Un nouvel âge pour l’influence russe ?
L’heure n’est plus aux déploiements spectaculaires. À défaut d’une présence militaire massive, Moscou explore d’autres voies : ONG, propagande, exploitation du sentiment anti-occidental. Un retrait américain sous Trump pourrait paradoxalement ouvrir la voie à une rivalité accrue entre compagnies militaires privées russes et américaines sur le continent.
Une chose est sûre : la Russie n’abandonne pas l’Afrique, mais elle avance désormais à tâtons, contrainte d’ajuster ses rêves de grandeur aux réalités d’un monde en mutation.
Olivier d’Auzon